19 Décembre 2015
Je dis "Très cher" pas forcément par affection mais parce qu'il me coûte beaucoup d'avoir à vous répondre après vos déclarations récentes sur la mollesse du Parc actuel. Comme on dit ici, c'est "L'hôpital qui se fout de la charité" ou en qatari, c'est "Le dromadaire qui se fout du bédouin". Mais poursuivons.
Cher Nasser, j'aurais tant aimé que vous viviez ce que j'ai pu vivre au Parc des Princes pendant plusieurs décennies. Tous ces frissons, ces vibrations, ces chants à l'unisson entre Auteuil et Boulogne, ces poils qui se dressent dès la montée des marches pour rejoindre sa place, ces tifos fabuleux préparés par des centaines de passionnés, ces moments d'intense ferveur partagés, ces cruelles désillusions des matchs perdus à la 85e minute, ces saisons blanches comme celles de gloire. Être supporter, c'est aussi et surtout être là quand ça ne va pas.
Cher Nasser, je vous connais mais vous, vous ne me connaissez pas. Je suis probablement l'un des supporters du PSG les plus fidèles qui soient. D'abord, je suis né en mai 1970, un mois avant le PSG. J'ai donc le même âge et nous avons grandi ensemble. Mon premier match doit dater de 77 ou 78 avec mon père, grand amateur de sport et du PSG.
Très tôt, il m'a donné le virus du Parc et la fièvre depuis n'est jamais retombée. Enfin, jusqu'en 2011. Pourtant, je pensais être vacciné à tout. Les gens qui me regardaient de travers quand je disais que j'étais supporter du PSG, les voitures en feu Porte de Saint-Cloud, les descentes de skins à 100 à la sortie des matchs. Promis, j'ai tout vécu au Parc en plus de 30 ans de passion. Les années de disette comme les années de succès, les matchs à 12000 personnes dans un froid glacial, la sacoche de Borelli, l'arrivée de Joel Bats, les charnières Bibard-Jeannol-Tanasi, les folles envolées de Safet Susic, la rage de Luis Fernandez, l'arrivée de Bernard Lama, les derby PSG-Matra, les recrutements très moyens (Geraldao, Yanovski, Hakan Yakin, Adailton, Carlos Bueno et j'en passe) les recrutements juste moyens (Kenedy, Reinaldo, Edmilson, Vampeta) et ceux de génie (Arteta, Djorkaeff, Rai, Ricardo, Okocha, Ronaldinho etc...). Je peux vous assurer que cette équipe, ces couleurs, je les porte en moi très près du cœur. Ma femme disait du PSG et du Parc que c'était ma "maîtresse" En tout bien, tout honneur évidemment.
Pourtant, un jour de 2011, alors que j'avais repris mon abonnement, vous savez celui qui a augmenté progressivement de plus de 200% en quelques années, il m'est arrivé quelque chose de bizarre. Tout à ma joie de voir sur le terrain probablement la plus belle équipe de l'histoire du Parc, je suis parti de chez moi d'un pas rapide en chantant vers ma maison, ce sublime édifice de béton ressemblant à un bateau retourné. Le Parc.
Le match commence, les phases de jeu s'enchaînent mais en moi, quelque chose ne va pas. Quelque chose cloche. Ce jour là, plus que le jeu, je me suis mis à regarder autour de moi. Et je n'étais plus au Parc des Princes, j'étais à Disneyland, entouré en grande majorité de gens qui venaient voir un spectacle, pas un match de football. J'ai entendu des pseudos-supporters siffler des joueurs du PSG à la première passe ratée. J'ai entendu un papa dire à son fils "Au fait, si Ibra n'est pas là l'année prochaine, tu veux soutenir qui comme équipe ?" Voilà. Tout est dit. Ou presque.
Ce jour-là, au Parc, je ne me suis plus senti chez moi. Je n'étais plus dans un stade de football mais au cinéma, au théâtre ou à l'Opéra. Le match n'était plus un match mais un spectacle et il n'y avait en grande majorité que des spectateurs, pas des supporters. Ce jour-là, je me suis levé à la mi-temps, perplexe, perdu, plein de doutes. Et au lieu de refaire la première mi-temps avec mon frère à mes côtés, j'ai pris la sortie et je suis parti sans rien dire, les dents serrées. Moi qui, pendant des années, pestait contre ceux qui s'en allaient cinq minutes avant la fin du match. Moi qui ai soutenu ces couleurs (on ne dit pas "supporter", on "supporte" les aléas de la vie, les impôts, sa belle-mère mais on "soutient" une équipe) contre vents et marées à l'époque où il était mal vu d'aimer le PSG, ce jour-là, j'ai quitté le Parc des Princes. Sans même prévenir mes amis. Trop, c'était trop. La passion, ce n'est pas seulement des grands noms sur le terrain. La passion, c'est le partage, c'est un but commun. La passion, lentement, s'était étiolée, perdue dans les insultes à Gabriel Heinze quand il était revenu avec le maillot de l'OM, perdue par ces jolis petits drapeaux sous les sièges que l'on est quasi obligés de remuer au-dessus de nos têtes, perdue à cause de personnes ignorantes du football qui sifflent leur équipe à 0-0 au bout de 20 minutes de match, perdue dans ce stade qui ne résonnait plus.
Cher Nasser, vous vous plaignez que le Parc des Princes ne soutienne pas son équipe, vous dites votre désarroi de n'avoir pas un public à la hauteur de votre équipe. Mais il ne pouvait en être autrement.
Bien sûr qu'il fallait agir après les années 2006 à 2010, au pire moment de l'histoire du club, de la rivalité entre Auteuil et Boulogne, pour éviter un nouveau Yann Laurence, un nouveau Julien Qemeneur. Bien sûr que le Plan Leproux était nécéssaire pour éradiquer les 200, 300 ou 400 pseudo-supporters que les directions successives avaient trop longtemps laissé faire en toute impunité, pour qui le Parc n'était pas un stade mais une tribune politique, une arène de gladiateurs. Bien sûr qu'il fallait agir. Mais quand on vire 10 000 personnes pour en éradiquer 200, quand on coupe le tronc et les racines d'un arbre pour se débarrasser d'une branche pourrie, on se retrouve dans votre situation actuelle. Avec des spectateurs, des "Footix" comme on dit dans le jargon, qui n'ont aucune culture footballistique. Ceux qui ne savent pas ce que c'est que de soutenir une équipe, ceux qui se mettent à siffler car il n'y a pas un score fleuve au bout de vingt minutes de jeu, ceux qui ne respectent pas l'adversaire en lançant des Ola à 1-0 car ils ont vu faire ça au Stade de France qui est tout sauf un stade de football.
Cher Nasser, pour avoir un public digne de ce nom, il faut à nouveau autoriser les associations de supporters maintenant que le Parc est "pacifié", quoique j'ai passé mon enfance dans ce lieu sans jamais avoir eu de problèmes. Il faut des supporters, pas juste un prestataire qui vous vend des drapeaux par milliers alors que c'est le public qui s'en chargeait avant 2010. Gratuitement. Passionnément. De vrais supporters qui préparent des tifos géants pendant toute la semaine, qui donnent leur temps et leur énergie pour soutenir leurs couleurs. Un public pour qui le PSG est plus important que tout et pas juste un sortie hebdomadaire ou un concert de U2.
Regardez Dortmund, regardez Manchester, regardez Liverpool, regardez Galatasaray, c'est ça des supporters et autour de Paris, nous avons ce vivier. Oui, Paris peut aussi devenir un ville de football. Mais pas sans associations de supporters gérés par le club, en accord avec le club, pour le club, avec le club. Et c'est ce dont vous avez besoin pour qu'enfin le Parc sonne et tonne à nouveau, pour qu'il fasse peur aux équipes visiteuses, pour que ce 12e homme aide le PSG dans sa quête du Graal : être le premier club français à gagner (pas acheter, hein, comme l'OM) la Coupe d'Europe des Clubs Champions. Bref, un vrai public, ce n'est pas avec des millions que ça s'achète, même avec une Mastercard Black Platinium. Mais avec une politique à nouveau ouverte vers eux, organisée avec et pour eux.
Un supporter historique (sans avoir le crâne rasé pour autant) qui aimerait bien revenir au Parc.
P.S : Au fait, cher Nasser, remplacer "Who said i would" de Phil Collins par "Ô ville lumière", c'est vraiment une très mauvaise idée. Laissez les chants de supporters aux supporters et laissez cette chanson qui fait monter la pression, qui fait taper dans les mains, qui fait vibrer le Parc depuis 1992. Merci.