25 Janvier 2017
... Alors c'est-à-dire que, bonjour d'abord car soyons poli à défaut d'être joli, j'étais absolument persuadé qu'hier nous étions mercredi, d'où mon article des Gifs du Credi apreslapub.fr/les-gifs-du-credi-15, hein, logique. Alors qu'en fait, pas du tout. Nous sommes mercredi aujourd'hui et de fait, je pensais que nous étions jeudi donc je vous avais préparé un peu de poésie. Mais comme jamais trop de poésie ne nuit, je rattraperai le retard, ou l'avance, demain avec encore un peu de poésie, histoire d'être prêt pour le Bordel du Vendredi pour vendredi. Pas pour jeudi. Voyez ? Mais passons à un peu de poésie. Ci-dessous. Merci.
Mon pied ne me donne
que du désagrément. La voûte
plantaire, la cheville - autrement dit
j'ai mal en marchant. Mais
ce sont surtout ces orteils
qui me tracassent. Ces
"doigts de pieds" comme on les
appelle aussi. Dernière extrémité,
c'est le cas de le dire !
Fini pour eux le délice
d'entrer tête la première
dans un bain brûlant ou
une chaussette de cachemire. Chaussettes de
cachemire,
pas de chaussettes, pantoufles, chaussures,
bande
Velpeau - tout ça c'est pareil
pour ces couillons d'orteils,
Ils ont même l'air abruti
et déprimé, comme si
quelqu'un les avait bourrés
de Largatil. Ils font le gros dos
hébétés et muets - machins sans vie,
sinistres. Que se passe-t-il, bon sang ?
Qu'est-ce que c'est que ces orteils
pour qui plus rien ne compte ?
Sont-ils vraiment les miens,
ces orteils ? Ont-ils oublié
les jours anciens, ce que c'était
qu'être vivant ? Toujours au premier
rang, premiers sur la piste de danse,
quand la musique commençait.
Premiers à faire la fête.
Regardez-les. Non, n'en faites rien.
Mieux vaut ne pas les voir,
ces loches. Ce n'est qu'à grand-peine
et avec difficulté qu'ils se rappellent
l'ancien temps, le bon temps.
Peut-être ne désirent-ils vraiment
que rompre tout lien
avec la vie d'avant, repartir de zéro,
se terrer, vivre seuls
dans un manoir retiré
quelque part dans la vallée de Yakima.
Mais il fut un temps
où ils frémissaient d'avance,
se tortillaient tout simplement
de plaisir
à la moindre provocation,
la plus petite chose.
Le frôlement d'une robe de soie
sous les doigts, peut-être.
Une voix mélodieuse, une caresse
sur la nuque, voire
un coup d'œil en passant. Qu'importe !
Le bruit des agrafes qui
cèdent, des corsets qui
s'ouvrent, des vêtements qu'on laisse
tomber sur les lattes fraîches d'un plancher.
Raymond Carver - Les orteils - in "Poésie" édition Points.