13 Septembre 2018
Serre-moi fort
et dis-moi à quoi ressemble le monde
je ne veux pas regarder dehors
Je veux m'en remettre à tes yeux
et à tes lèvres
Je ne veux rien sentir
que ta main
sur le vieux pare-choc écaillé
Je ne veux rien sentir d'autre
si tu aimes les rochers morts
et les immenses pins sauvages
D'accord je les aime aussi
Dis-moi si le vent
fait un joli bruit
je fermerai les yeux en souriant
Dis-moi si c'est un beau matin
ou un matin clair
Dis-moi ce que c'est
comme putain de matin
et je serai preneur
Et demande au chien
d'arrêter de gémir et d'aboyer
Ce n'est pas la Chine
personne ne va avaler ça
Si tu dois t'en aller d'accord
je créerai le cosmos
à moi tout seul
je le laisserai être tout entier à ton image
la moindre sinistre pomme de pin
la moindre ennuyeuse aiguille de pin
Et du haut de ce dôme pelé
je diffuserai mon affection
à la ronde
vers tous les horizons vertigineux
les brumes et les neiges
qui recouvrent
les montagnes étincelantes
vers les femmes qui se baignent
dans le ruisseau
et se peignent les cheveux
sur les toits
vers les sans-voix
qui m'ont imploré
du fond de leur surprenant silence
vers les pauvres de cœur
quand même ils seraient riches
vers toutes les formes de pensées
et objets mentaux percés
que tu hisses jusqu'ici
au bout de ta vie fantomatique
Léonard Cohen "Ce n'est pas la Chine", in "Le livre du Désir (poésies)", édition Point.