... Don Vilpine était accoudé au bar du saloon, sirotant son triple whisky sec et ses frijoles, seul et unique
petit-déjeuner qui se respecte à l'ouest du Pécos. Fidèle à ses habitudes, il regardait discrètement la salle à travers l'immense miroir pour ne pas être pris de court si quelqu'un lui cherchait
des noises dans le dos. Sur scène, Carlula Belluni sussurait "Someone told me", le tube qui avait fait sa renommée jusqu'à Durango, à deux miles de là. Son filet de voix s'échappait
mélodieusement de la splendide bouche qui avait vu tant de cow-boys farouches s'épancher. Don Vilpine gardait un œil sur l'entrée et un autre sur les cuisses de la chanteuse, tout de même.
Un truc qu'il avait appris auprès de Marty Feldman, un prospecteur d'or au regard peu franc.
Soudain, une escouade de cavalerie toute entière entra dans le saloon, chevaux et clairon compris. Un beau bordel. À sa tête, le célèbre Général Round-Ott, homme de peu de mots mais homme
d'action. Un Action Man. Don Vilpine remarqua rapidement que Round-Ott n'était pas dans un bon jour et porta lentement la main vers son holster au cas où. Round-Ott descendit de cheval puis
descendit son cheval. Il était clairement en colère et à chaque fois, ça coûtait un nouveau bronco à l'armée des Etats-Unis. Il était comme ça. Le cheval s'affala, le Général s'attabla.
Pointant d'un doigt vengeur Don Vilpine et pourtant ce n'était pas très poli, Round-Ott se lança dans une diatribe dont la fureur n'eût d'égale que la brièveté. Vilpine
posases frijoles etson whisky sur le bar pour ne pas en perdre une goutte. Et pour dégainer rapidement, c'était bien
plus simple avec les mains libres.
- Vilpine ! Son of a gun ! J'ai beau être un militaire de carrière, avoir servi sous Grant, Sherman et Custer et travaillé dans les renseignements avec James West, je n'ai quand même pas un Q.I
de pétoncle, goddam !!! Faudrait voir à pas me prendre pour une buse. Les buses, c'est dans le ciel, tu vas pas me la faire à moi !
Don Vilpine s'apprêtait à répondre mais Round-Ott fit sonner la retraite au clairon. Jadis, il avait essayé de faire sonner la retraite au flambeau mais ça ne donnait pas la même dimension
dramatique aux scènes. Se retirant instantanément avec toute sa troupe, il laissa son cheval là et Don Vilpine ici, ébaubi.
Il était temps pour Vilpine d'aller demander conseil à Eye-Mad Lahood, un sang mélé mi-indien mythomane, qui savait à peu près tout sur tout et dont le Teepee se trouvait non loin de là, sur le
Clear Stream, une rivière boueuse qui charriait un paquet de saloperies. Pendant ce temps-là, Shark Ozzie faisait reluire son étoile de Sheriff. Il s'en foutait de tout ça, il était au dessus de
la loi. Pour une fois qu'il était au dessus de quelque chose sans mettre des talonnettes dans ses santiags, il n'allait pas se priver du plaisir d'en profiter un peu.