3 Mars 2010
Blues from Laurel Canyon est un album de 1968. Etant né en 1970, je ne l'ai donc pas connu à sa sortie mais bien plus tard à l'occasion d'un baby-sitting chez des amis où l'on baby-sittait autant les enfants pendant la première partie de soirée que les parents une fois rentrés. Ma femme et moi (on dirait du Colombo) gardions ces enfants à tour de rôle pour nous faire de l'argent de poche afin de pouvoir ensuite se galocher dans une salle de cinéma obscure sans prêter un instant attention au film. Ah si, une fois, on était allé voir Alien 2. Je crois.
Ces soirées extraordinaires, nous les passions chez Florence et Marc, couple d'amis érudits en art, en musique et en plein d'autres choses encore, notamment les spaghettis, le Yam et les tisanes. C'est grâce à Florence, qu'elle en soit ici remerciée mille fois, que j'ai développé ma fibre artistique. Je me faisais cordialement engueuler par Florence qui avait cru déceler en moi cette fibre et me poussait sans cesse à exprimer ma créativité en me nourrissant de ses découvertes, des expos qu'elle venait de voir et de ses immenses connaissances culturelles cachées sous forme de centaines de livres dans la bibliothèque immense de leur salon. Ayant fréquenté Aragon et d'autres grands, elle en connaît un rayon comme aime à le répéter inlassablement avec une certaine perspicacité le salarié de l'hypermarché de rase campagne tout en achalandant des mètres de linéaires d'un geste quasi-automatique, les yeux aussi morts que la daurade qu'il vient de déposer en sa dernière demeure sur un lit de glaçons décoré avec goût de quelques feuilles factices de fougères amères et peu fières de leur funeste sort. Les Doors, c'est eux. Fante, c'est eux. Staël, c'est eux. John Mayall, tout pareil. À l'époque, nous avions en Florence et Marc un grand frère et une grande sœur. Et en plus, on se faisait de la maille à leur garder leurs adorables moufflards. Le rêve. Bref, un jour, Marc sort de son imposante discothèque "Blues from Laurel Canyon" et me dit : "Tu connais John Mayall ?" Il allume son ampli à lampes (laissez tomber les jeunes vous ne pouvez pas comprendre) pose délicatement sa galette sur sa platine de compétition branchée à des enceintes d'1 mètre 50. Un mur de son me tombe sur le corps. Un 737 passe au dessus de moi, à quinze mètres, peut-être dix au dessus de ma tête.
Une voix un peu nasillarde se met à psalmodier deux phrases.
"Ten hours in a plane, England left behind. Back here in LA, wonder what i'll find."
Et là, un énooorme solo de guitare de deux minutes, blues à souhait, brut, brutal, monumental, me débite le cerveau en tranches fines façon carpaccio. Mick Taylor, 19 ans, futur Rolling Stones enfourche sa guitare comme un bronco ruant et fumant de naseaux pour donner le ton. Ce sera blues, ce sera rock, ce sera furieux, ce sera roots. Tandis que la guitare s'échappe dans le ciel, John Mayall ajoute juste deux autres phrases :
"Summertime, my plane is coming down. I'm a wandering man and this is gonna be my town". Vacances, j'oublie tout.
John Mayall a 35 ans. Il a fait éclore avec son groupe les Bluesbreakers un nombre incroyable d'immenses talents du blues tels Eric Clapton, futur Cream, Mick Taylor, futur Rolling Stones, Peter Greene, futur Fleetwood Mac avec John Mc Vie, le bassiste des Bluesbreakers de l'époque. De 1963 à aujourd'hui, les Bluesbreakers ont accueilli nombre de stars qui volèrent plus tard de leurs propres ailes. C'est beau. Mais en 1968, Mayall en a marre de l'Angleterre, il en fait le tour. Fini donc les Bluesbreakers.
Il part en vacances à Los Angeles et échoue à Laurel Canyon, LE spot artistique de l'époque où il rencontrera Frank Zappa, Canned Heat et pas mal d'autres déjantés à cheveux longs et musiques psychédéliques. Normal, on est en 1968. La deuxième chanson "Walking on Sunset" vous traîne directement vers un monde idyllique pour un Englishman pas in New York but in L.A : marcher sur Sunset Boulevard. "All the pretty women, never seen a better crop", les filles sont belles, elles sont légion, y'a de la bière, Sunset défile comme si la route n'avait pas de fin. Il est bien le gars, il est bien. Et le blues est bon. Mayall nous fait partager son harmonica merveilleux, il nous invite à la fête. "I'm walking on Sunset, everything is like a friend". Ambiance cool, on est tous amis, tiens, t'en veux, ouais c'est cool.
Ensuite direction "Laurel Canyon Home", son chez-lui. On calme le tempo. Le jour se lève. Il déambule, médite, regarde, profite jusqu'au soir. "Each and every morning, when the sun is high, i hunt around the canyon till i find a place to lie". Contemplation, béatitude, osmose avec la nature. On est bien. Hein Tintin. On est bien. "It's so beautiful to be alone. Got the sun, trees and silence. i'm in my Laurel Canyon home." Rien ne semble avoir changé en des siècles, le spectacle est immuable. "Looking back a century, i look at where i stand. It must have looked the same as when Apaches roamed the land." Le soleil décline. Le ciel rougeoie, la lumière flamboie et tout ça et tout ça et pour peu, on entendrait les âmes de chefs indiens nous sussurer des mots doux à l'oreille pour nous endormir.
"2401" casse le trip. Un riff qui tape, l'harmonica qui cingle. C'est le moment de bouger, de rencontrer du monde, fini la sieste tranquilos dans les rochers. Faut se trouver une copine.
"Ready to Ride" est chaud, moite, un appel rebelle à la femelle. "Baby, don't you run, you can't hide. My love is boiling over, cause right now, i'm ready to ride". Je crois que c'est explicite. Explicit lyrics qu'ils mettraient maintenant. "Took me one week to find her, we danced a special way. She got me so excited i couldn't walk away". Forcément, avec les pantalons en peau de bison, le tipi se voit beaucoup plus.
Je ne saurai vous dire exactement comment s'est passé la soirée avec la damoiselle que John Mayall poursuivait de ses ardeurs dans le morceau précédent mais le lendemain, John n'est pas au mieux."Medecine Man" est un appel au Doliprane 1000 un lendemain de cuite. En tout cas, ça va pas fort. Down tempo, pas taper, ouye ça fait mal à la tête. T'aurais pas un remontant, grand Sachem ? "Had a bit of bad luck, something I would never plan. Got a little trouble, help me anyway you can. I'm out of circulation so take me to your Medecine Man." Va pas fort le John.
On comprend à la chanson d'après qu'il s'est bien pris la tête avec la jeune fille dans "Somebody's acting like a child". "You shouldn't have been so selfish, i shouldn't have walked out", allez on s'embrasse, on se réconcilie sur l'oreiller mais c'est quoi ces gamineries les enfants ? Allez faites l'amour, pas la guerre.
Et voilà, les vacances sont déjà finies. À peine le temps de ne rien branler dans un canyon, de se balader sur Sunset, de se taper deux greluches, quelques acides et un bœuf avec des potes que le devoir vous rappelle dans la mère patrie. Amer, parti ou quasi, John clot le bal d'un tambourin indien lancinant accompagné d'une guitare, d'un fond d'orgue qui va et vient comme le reflux des vagues sur la plage de Santa Monica. Fly tomorrow, back in the UK. Dommage qu'il n'ait pas été Russe, ça aurait fait une bonne chanson.