17 Décembre 2014
Pour les plus fidèles à ce blog, ce texte a déjà été présenté ici le 10 juillet 2012 mais comme je suis dans une semaine pseudo-littéraire et que je l'aime beaucoup, je me permets de vous le remettre ici, donc, aujourd'hui. Toute ressemblance avec des abrutis imbus d'eux-même de la Twittosphère n'est absolument pas fortuite.
Egocentweet
ll avait 17654 followers sur Twitter. Son avis comptait autant que nombre de personnes influentes comme lui et légitimes, contrairement à lui. Sa notoriété, certes relative à la dimension mondiale mais suffisante au plan national, lui permettait désormais de dépasser le cadre du web. Il avait une chronique bi-hebdomadaire sur une grande radio et tenait des billets d’humeur dans plusieurs journaux sur des sujets divers et variés.
Du haut de ses 58 783 tweets, il se posait en monarque du bon goût, de la tendance et du buzz assurés. Il faisait la pluie et le beau temps sur la toile. Les sociétés le consultaient, le payaient grassement pour des conseils de communication digitale. Il leur prenait cher. Mais il savait faire.
Homme de réseaux avant même la naissance de Twitter ou l’explosion de Facebook, il avait trouvé dans ces tribunes une scène sur laquelle son égocentrisme prenait sa pleine mesure. Et ça plaisait dans ce monde où les stars de pacotille pullulaient, où tout devenait culte en moins de temps qu’il n’en fallait pour oublier. En moins de 140 signes, il pouvait malgré tout faire et défaire une carrière, lancer une tendance ou une nouvelle idole, adouber ou assassiner selon ses humeurs. Il était parfaitement imbu de lui-même, se mettant en scène au quotidien dans les petits tracas de sa vie de camelot de l’idée. Il n’accordait ses abonnements qu’au compte-goutte et faisait bien comprendre qu’être ami avec lui se rapprochait au minimum d’un privilège royal. NRV régnait. Mais personne ne le connaissait. Jamais sur une image, on ne voyait son visage. Le parfum de l’anonymat marchait à plein, il était une sorte de Don Diego de la Vega dont le double virtuel pourfendait de la pointe de sa plume ceux qui ne méritaient que son opprobre. Son succès venait beaucoup de cette partie de cache-cache et il comptait autant de détracteurs que d’admirateurs. En bien ou en mal, on parlait de lui et c’est ce qui comptait. Dans une bonne journée, il pouvait twitter dans les 200 messages. «L’Homme Pressé » avec Delon, c’était du pipi de chat à côté. Personne ne savait où il était mais il était toujours là où il fallait être.
Dans le Tout-Paris, c’en était devenu un jeu et les people faisaient croire à tour de rôle qu’ils étaient NRV. Il suffisait qu’un tweet apparaisse sur l’expo du tout nouvel artiste en vogue dans la toute nouvelle galerie à la mode pour que l’hystérie prenne la foule. NRV était là, il fallait le débusquer. Dès lors, si vous aviez le malheur de tapoter sur votre clavier, vous deveniez suspect, vous POURRIEZ être NRV. Son dernier tweet sur l’artiste phare de la nuit avait scellé son avenir : « De Picasso, il a l’égo. Le reste n’est que dégoût. »
Puis un matin, un tweet : « Bai ».
Puis plus rien. Ni statut, ni tweet, ni géolocalisation. Rien.
La blogosphère s’enflamma avec des groupes Facebook, des appels à témoin. Les pro et les anti s’envoyaient des scuds en 140 caractères, le hashtag #NRVFree fut le succès du jour, les forums cherchaient mille et une explications au « Bai ». Code geek, lieu, tendance ? Ce n’est que le soir, alerté par ses proches amis qui s’inquiétaient de ne pouvoir le joindre que la Police entra chez lui en défonçant sa porte. NRV était là, blanc vert, dans son bain. Son iphone branché à la prise électrique la plus proche était encore dans sa main, sous l’eau. À nouveau, les groupes fleurirent, les mausolées virtuels s’érigèrent, les hommages plurent. Puis un autre le remplaça et le monde oublia NRV pour de bon.