6 Juin 2019
Tu ne m'as pas fait souffrir
mais attendre.
En ces heures
broussailleuses, remplies
de serpents,
lorsque
mon cœur sombrait et que je me noyais,
tu t'avançais,
tu venais nue, toute griffée,
tu arrivais en sang jusqu'à mon lit,
novia mia,
et nous marchions
toute la nuit
en dormant :
à notre réveil,
tu étais intacte et nouvelle,
comme si le vent grave de nos rêves
avait rallumé
tes cheveux,
comme s'il avait plongé ton corps dans le blé
et dans l'argent pour le rendre à nouveau éblouissant.
Je n'ai pas souffert, mon amour
tout simplement, je t'attendais.
Il te fallait changer de cœur
et de regard
depuis que tu avais touché cette profonde
zone de mer que ma poitrine te livrait.
Il te fallait sortir de l'eau
pure comme une goutte soulevée
par une vague dans la nuit.
Novia mia, il t'a fallu
mourir et naître, je t'attendais.
Te cherchant, je n'ai pas souffert,
je savais, oui, que tu viendrais,
une nouvelle femme avec ce que j'adore
de celle qui n'adorait pas,
avec tes yeux, tes mains, avec ta bouche,
mais avec un cœur différent,
celle qui s'éveilla un jour auprès de moi
comme si elle s'y était trouvée depuis toujours
pour à jamais poursuivre à nous deux le chemin.
Pablo Neruda, Tu venais, in 20 poèmes d'amour et une chanson désespérée", ed. Gallimard Poésie.