6 Janvier 2009
"Mon oncle vit à Saigon.
Mon oncle ne sort pas de chez lui, reste cloîtré dans notre demeure familiale, arpentant les 2 étages à longueur de journée, quelque soit les saisons et les soubresauts de la ville ou de la vie
quotidienne. Cela fait près de quarante ans qu’il en est ainsi.
Mon oncle a perdu la vue, défiguré et brûlé à près de 80 % suite à un jet d’acide chlorhydrique au visage. Si les raisons et les motifs en sont personnels, ils
s’inscrivaient à l’époque dans un contexte historique difficile et instable (la guerre du Viêt-nam dans les années 1970 qui opposait les Viêt-cong aux représentants du gouvernement du sud en
place, soutenu par les Etats-Unis).
La responsable de ce geste passionnel et déraisonné fut arrêtée. D’autres actes similaires furent répertoriés au cours de cette période et les coupables
également incarcérées. Mais, l’arrivée au pouvoir des Viêt-Cong permit à ces femmes d’être libérées après qu’elles eurent revendiqué leurs gestes de « patriotiques », institutionnalisant ainsi
leurs crimes ; les victimes étant souvent des membres ou des sympathisants de l’ancien gouvernement vietnamien.
Au-delà du
lien familial qui peut m’unir à mon oncle, je me suis intéressé à lui car je vois un homme exclu depuis quatre décennies de sa vie rêvée, qui cache ses possibles souffrances et désillusions en
silence, derrière un enthousiasme en chaque chose. Son espace vital est réduit à la maison familiale, son quotidien est rythmé par les soins prodigués à ma grand-mère alitée, l’entretien du
jardin sur la terrasse, et l’écoute assidue de la radio. Parfois la cigarette qu’il s’octroie sur le balcon vient couper ce quotidien.
Je me suis
laissé à l’observer, discutant longuement avec lui, dans le but de montrer la solitude que peut connaître cet homme, mais surtout pour témoigner de sa dignité.
Le reportage
est construit sous la forme de diptyques : la photographie de gauche désigne un détail de l’environnement de mon oncle. Image en couleur pour montrer ce quotidien immédiat, ces ustensiles qui
peuvent nous être familiers, qui rattachent mon oncle à l’existence.
L’image de
droite associée est en noir et blanc, montrant avec pudeur mon oncle dans ses postures et retranchements. Du noir et blanc pour se raccrocher inconsciemment à sa vision, à sa solitude. Son visage
si possible effleuré pour le préserver.
À Chu Chi. "