23 Octobre 2023
... Allez, dans ce monde de plus en plus obscur où des amis imaginaires de toute sorte tentent encore, en 2023, de nous imposer notre manière de vivre ou de mourir, je me suis dit qu'une plongée dans le beau, non, pardon, dans le sublime, ne pouvait que faire du bien à mes lectrices et lecteurs (public chéri, mon amour). Je vous propose donc ma vision de l'exposition Nicolas de Staël au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris, (leur site ici MAM Paris).
Staël fut pour moi ma première révélation artistique, mon premier coup de cœur absolu grâce à une amie férue d'art, de culture, de littérature et de pastas du dimanche soir. C'est elle, Florence de son joli nom, qui m'a initiée à Kolya (diminutif russe de Nicolas) de Staël pour la première fois.
Nicolas de Staël, c'est une carrière fulgurante. De ses débuts officiels à sa fin tragique, il se sera passé à peine treize ans. Treize années, de 1942 à 1955 où il produira plus de 1100 tableaux dont le dernier, Le concert, restera inachevé. Mais si vous souhaitez vous intéresser à la vie et l'œuvre de Nicolas de Staël, je ne peux que vous recommander LE livre qui m'a fait découvrir ce peintre et cet être exceptionnels. Magistralement écrit par Laurent Greilsamer, journaliste au Monde, Le Prince foudroyé (ed. Fayard) est un must absolu pour tout découvrir de lui, de sa naissance, le 5 janvier 1914 à la forteresse Pierre et Paul à Saint-Pétersbourg dont son père, le Général Vladimir de Staël von Holstein était le Vice-Gouverneur à ses dernières heures à Antibes le 16 mars 55. Le livre est passionnant, non seulement parce qu'il relate sa vie mais aussi parce qu'il permet de voyager dans une Europe secouée par une révolution et deux guerres mondiales le temps de la vie de ce géant d'un mètre quatre-vingt-seize.
De bout en bout, la vie de Nicolas de Staël est une histoire de passion. Passion pour les arts, passion pour la couleur, passion pour la vie, passion pour les femmes. Staël, c'est un feu ardent qui brûle encore 68 ans après sa mort. Staël, c'est le dernier peintre absolu et c'est lui qui en parle le mieux car en plus d'être un peintre exceptionnel, Staël possédait aussi une plume sublime. "Ce que j'essaie, c'est un renouvellement continu, vraiment continu et ce n'est pas facile. Ma peinture, je sais ce qu'elle est sous ses apparences, sa violence, ses perpétuels jeux de force, c'est une chose fragile dans le sens du bon, du sublime. C'est fragile comme l'amour" (lettre à Jacques Dubourg, décembre 1954).
Staël, c'est une première rencontre, essentielle avec sa première femme, Jeannine Guillou. Qu'importe qu'elle soit déjà en couple, et mère, quand il la rencontre au Maroc. Le coup de foudre est immédiat. Jeannine de cinq ans son aînée est déjà peintre et elle possède un esprit libre qui s'accorde immédiatement avec celui de Nicolas dès leur rencontre à Marrakech en 1937. Pour lui, Jeannine quitte son compagnon Oleg Teslar et prend Antek, son jeune fils sous les bras avant de partir avec ce superbe jeune homme de 23 ans. Elle lui apprend la composition, à survivre avec peu, l'amour infini, l'abnégation. "Il faut travailler beaucoup, une tonne de passion et cent grammes de patience".
Jeannine, avec qui il aura son premier enfant, Anne en 1942. Jeannine avec qui il vivra les années de guerre, de disette à se chauffer en arrachant des lattes de plancher, Jeannine qui choisira d'arrêter de peindre pour qu'il puisse le faire, lui, Jeannine emportée en pleine opération pour lui retirer un deuxième enfant que sa fatigue extrême l'empêchait de porter à terme. "Ne pensez pas que les êtres qui mordent la vie avec autant de feu dans le cœur s'en vont sans laisser d'empreinte. Votre seule raison d'être est d'être sa mère et pour ma part, je serai bien content de mourir dans une telle densité.", écrit-il à la mère de Jeannine en février 1946. Il faut bien vivre néanmoins, Staël reprend son chemin. "Je vous remercie d'avoir un jour donné la vie à un être qui m'a tout donné et me donne chaque jour encore".
De 1944-45, date de ses premières expositions à la galerie Jeanne Bucher à 1955 où son art tutoiera les sommets du marché de l'art contemporain, Staël n'aura eu de cesse d'évoluer, de faire évoluer sa peinture au contraire de nombreux artistes qui capitalisent et reproduisent. "Il n'y a que deux choses valables en art : 1° La fulgurance de l'autorité. 2° La fulgurance de l'hésitation. C'est tout. L'un est fait de l'autre, mais au sommet les deux se distinguent clairement." (lettre à Pierre Lecuire, mai 1953). C'est tout Staël en une phrase.
Un tableau de Nicolas de Staël, c'est toujours un équilibre précaire, ça tient à peu de choses, la trace d'une couleur sous-jacente qui pose la suivante, un mouvement gratté qui répond à un autre opposé et il ne faut y chercher ni figuration, ni abstraction mais se laisser guider parce que que c'est : un morceau de carton ou de toile et le génie d'un homme pour le faire vivre au delà de sa réalité de carton ou de toile. Staël invente des mondes qui lui sont propres mais qu'il offre à tous.
Je vais vous laisser voguer dans cette exposition à travers quelques clichés mais je vous invite à aller au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris pour les vivre et les ressentir par vous-même. Déconnez pas. Allez-y. Vous me remercierez plus tard. Comme il est de rigueur ici, j'accompagnerai ces images non pas par une sauce gribiche de mots de votre serviteur mais de citations de Nicolas de Staël car c'est quand même de lui qu'on cause.
"Les raisons pour lesquelles on aime ou on n'aime pas ma peinture m'importent peu parce que je fais quelque chose qui ne s'épluche pas, qui ne se démonte pas, qui vaut par ses accidents, que l'on accepte ou pas. On fonctionne comme on peut. Et moi j'ai besoin pour me renouveler, pour me développer de fonctionner toujours différemment d'une chose à l'autre, sans esthétique a priori. (...) Je crois au hasard exactement, comme je vois au hasard, avec une obstination constante, c'est même cela qui fait que lorsque je vois, je vois comme personne d'autre." (lettre à Douglas Cooper, janvier 1955).
"Alors, voilà du bleu, voilà du rouge, du vert à mille miettes broyés différemment et tout cela gagne le large, muet, bien muet. (...) On ne peint jamais ce qu'on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir, semblable, différent." (lettre à Roger van Gindertael, avril 1950).
"L'espace pictural est un mur mais tous les oiseaux du monde y volent librement, à toute profondeur." (lettre à Pierre Lecuire, décembre 1949). Les bols de salade et les poissons aussi.
Et si vous souhaitez en savoir un peu plus avant d'aller voir l'expo, je vous recommande également le superbe documentaire "Nicolas de Staël, la peinture à vif" qui lui est consacré sur Arte et que, par bonté d'âme, je vous place ci-dessous parce que c'est vous, parce que c'est moi, parce que c'est lui.
Nicolas de Staël, la peinture à vif - Regarder le documentaire complet | ARTE
Peintre riche d'une œuvre de plus de mille toiles, Nicolas de Staël (1913-1955) a tout sacrifié à son art, poussant toujours plus loin ses recherches. Entre frénésie créatrice et affres ...
https://www.arte.tv/fr/videos/111772-000-A/nicolas-de-stael-la-peinture-a-vif/
Vous aurez accès à la sortie de l'expo à de nombreux ouvrages sur Nicolas de Staël. Je vous recommande évidemment le livre de Laurent Greilsamer, le catalogue de l'exposition mais aussi sa correspondance de 1926 à 1955 éditée au Bruit du temps et dont sont issues les citations ci-dessus (pas facile à dire). Ci-dessous, ma petite collec' personnelle.
J'espère vous avoir donné envie d'aller voir cette exposition qui se tient, et plutôt bien, jusqu'au 21 janvier 2024 et vous salue respectueusement avec ma gueule de pâtre grec et mes cheveux aux quatre vents.
P.S : J'ai déjà évoqué Staël sur Après La Pub et notamment son illumination lors d'un match en nocturne au Parc des Princes : Le Parc d'un Prince et sur Staël coup ainsi que sur Nicolas for ever si vous en voulez encore plus, bande de petits canaillous.