9 Janvier 2011
... Safet Susic n'a pas fait l'Ecole des Beaux-Arts de Sarajevo mais il aurait pu. Safet Susic ne sait rien faire de ses dix doigts (rien de connu en tout cas). Il ne s'exprime pas avec un pinceau ni un appareil photo ni avec des couteaux. Lui, c'est le pied. Et même les pieds. Non, Safet Susic n'est pas un obscur artiste homme-tronc tel ce pianiste chinois virtuose qui fait le tour du monde en jouant comme un pied ou plutôt comme deux pieds. Dans ceux de Safet Susic, il y avait à la fois la foudre, le velours et quelques chef-d'œuvres en devenir.
Safet fut donc Yougoslave avant d'être en guerre contre ses frères pour devenir Bosniaque et même Herzégovin alors c'est vous dire. Né à Zadocivi le 13 mars 55, il commence à déployer ses grigris dans le club local de Krivaja avant de vite partir au FK Sarajevo tant son talent éclaboussa les pelouses souvent médiocres des clubs de seconde zone du championnat Yougo. Pendant 10 ans, il régale tout le monde, plantant pion sur pion (250 en 350 matchs, rien que ça) et offrant des caviars que même les Russes du Parti ils y avaient pas le droit à des trucs d'une qualité comme ça. Car Susic, ce n'est pas seulement une technique (dribble, conduite et protection de balle, qualité de passe, frappe) hors du commun, c'est aussi et surtout un sens de l'autre, du mouvement, une sensibilité spatiale collective ahurissante. Safet Susic était un maître à jouer. Karajan du cuir, Patton du ballon rond, esthète de l'inter, expert de l'exter. Susic ne jouait pas au football, il jouait avec le football.
Toi aussi, apprends le Yougoslave en deux leçons avec la méthode Susic.
Pendant une décénnie, Safet Susic régala le Parc des Princes de son talent, de son altruisme et de sa vision du football. Les Oranje ont eu leur Cruyff, les Argentins leur Maradona, les Brésiliens leur Pelé. À Paris, on a eu Susic. Pourtant, des artistes on en a vu passer depuis au Parc des Princes. Ronaldhino, Valdo, Leonardo, Rai, Ginola, Weah, Ardiles, Llacer. Mais Safet Susic fut le premier, celui qui dépucela le Paris-Saint-Germain, le premier à donner aux Parisiens de l'amour avec un grand A. On n'oublie jamais ce premier amour. Si Paris est magique, ce fut d'abord grâce à Susic.
Fin 1982, il rejoint officiellement le PSG et joue son premier match contre Monaco. À l'époque, les joueurs Yougoslaves ont interdiction d'aller jouer à l'étranger avant leur 28 ans. Avant, ils appartiennent au Parti, un point c'est tout. Désormais, c'est au Parc qu'il se doit et très vite, son talent explose et le rend indispensable au PSG malgré quelques problèmes au début car il ne parle que Yougoslave. Il est du premier match européen du Paris Saint-Germain le 2 mars 83 contre Waterschei. 49 575 spectacteurs en furie après le premier but de Susic. Refusé. Mais les Parisiens se battent comme des beaux diables contre les diables rouges d'en face et gagnent 2-0. Paris libéré, Paris conquis, pari gagné.
Susic n'est pas Brésilien comme José Touré mais faut pas le chauffer, il sait aussi mettre des beaux pions. Et des décisifs en plus, comme pour gagner la Coupe de France en 1983 face à Nantes. Cui cui, les Canaris sont cuits.
Pendant 10 ans, Susic va régaler, parfois énerver car il choisissait aussi un peu ses matchs mais surtout, il va offrir 67 buts au PSG et autant, si ce n'est plus à ses copains sur le terrain. Modèle d'esprit collectif, de ténacité et de talent incarnés, Safet Susic donna beaucoup, reçut énormément et entra définitivement dans la légende du PSG par ses exploits balle au pied.
Susic contribuera énormément au premier titre national du Paris Saint-Germain en 1986 avec 10 buts personnels et une palanquée d'offrandes pour Dominique Rocheteau (19 buts), ange vert en rouge et bleu, Oumar Sène, Pierre Vermeulen et Omar da Fonseca.
Safet Susic aura été le premier magicien Parisien, le premier Prince du Parc. Et j'y étais. Et je m'en souviens encore. Merci Safet, Paris est Susic.