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De l'alcool doux et du génie

 

... Pour Hendrix, c'est compliqué. Pour Chet Baker, idem. Pour Nicolas de Staël et Emil Nolde, n'en parlons pas et pour Hank Bukowski, je peux oublier très vite. Mais hier, j'ai eu la chance infinie de pouvoir croiser une personne qui a compté pour moi autant que les illustres sus-cités. Il est à leur niveau. Et il rejoint à pas de géant celui de son père, John qui a aussi éclairé ma vie, mes pensées, mon envie d'écrire (un jour). Il existe peu de personnes dans une vie qui vous font bifurquer de votre route principale personnelle. Dan Fante est un de ceux-là pour moi. Je ne suis pas prompt à l'idolâtrie, plutôt "Ni Dieu, ni maître". Sauf si celui-ci est spirituel. Oui, comme Petit Scarabée et Maître Po. Quand j'arrive au Marcovaldo (quel bon présage que cette contraction de Marco Simone et Candido Filho Valdo), café et librairie italienne qui accueille l'événement rue Charlot, il est déjà là, au fond, discutant tranquillement avec quelques amis. Brut, massif, avec un regard, une intensité au fond de yeux qu'on n'oublie pas. Comme sa poigne. Des mains héritées de ses aïeuls italiens, tailleurs de pierre, arides, gonflées et musclées par des litres de vin italien.

 

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De spiritualité, Dan Fante n'en manque pas. Alors que les spiritueux, fini, il a arrêté depuis longtemps. Comme la drogue, les drogues, comme les matins froids dans des hôtels miteux. Quand il pouvait se payer un hôtel. Sa rédemption, Dan la doit à l'écriture. "J'écris parce que c'est ce qui me sépare de la mort". Tout est dit. Crûment, puissamment avec des mots qui pèsent parfois une tonne, parfois un gramme.

 

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La foule se presse, grandit, remplit vite la petite salle. Dan est à Paris pour un soir pour une lecture de poèmes issus de son livre "De l'alcool dur et du génie" aux éditions 13e Note (voir ici link). Il est là aussi car ses œuvres sont enfin traduites en italien. À côté de lui, deux acteurs transalpins pour faire vivre ses textes dans sa langue maternelle et deux musiciens, guitare, clavier, pour accompagner le tout. Dan Fante prend sa respiration, mélange de fragilité infinie et de puissance contractée sous une veste de cuir. Son ton de voix raconte à lui seul toute sa vie. Un bloc, du granit. Et des fêlures qui rendent le tout dangereux, instable.

 

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Tour à tour, il nous donne ses poèmes dans sa langue à lui, dans son rythme, dans sa musique, avec son accent. Grand moment. Puis, religieusement, il écoute ses poèmes scandés en italien, la langue de son grand-père, de son arrière-grand-père. On sent bien que ça lui remue l'estomac, que ça le secoue plus que le plus grand des grands 8.

 

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Il reprend, donne le ton. Le sien. Puis écoute à nouveau.

 

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Il parle de John, son père. La voix s'éraille. De Joyce, sa mère. La voix se fèle.

 

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Et puis le Dan d'avant revient par fragments. À l'écoute des remerciements de la très jolie patronne italienne des lieux, on sent bien que les vieux démons ne sont pas encore tout à fait enfuis, que Bruno Dante se la culbuterait bien vite fait dans l'arrière-boutique après trois lignes de coke et un bouteille de Mad Dog pour faire passer. Faut dire qu'elle est gironde, italienne de toutes ses courbes, pulpeuse et pétillante. Ca le titille, ça l'escagasse mais le nouveau Fante, enfin le Fante de ses 20 dernières années depuis son arrêt de l'alcool après une rencontre divine, ce Fante-là sait désormais se tenir. Mais il la boufferait bien tout cru comme un antipasti. Homme, il est, homme il finira.

 

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La séance de poésie s'achève. Dan demande s'il y a des questions. Elles arrivent vite. Sur lui, son père, ses méthodes d'écriture. Il raconte qu'un jour, il a décidé que pendant 100 jours de suite, il écrirait un poème. Que la seule façon de bien écrire, c'est d'écrire. Encore et encore. Et qu'à un moment, forcément, il en sortira quelque chose de bon. Il a raison.

 

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Séance de dédicaces. Mon frère, 20 ans et des poussières, est aux anges. Depuis que je lui ai offert un premier livre de Fante père puis fils, sa vie a changé. Comme la mienne avec John, le papa puis avec Dan lui-même. Une petite gribouille, quelques diamants dans les yeux et puis s'en va. Le petit grand homme s'éloigne, nous laissant un souvenir vivace pour des années. Et puis j'ai son mail alors je peux lui parler quand je veux. Je lui ai même envoyé un poème ce matin. Le premier des 100 jours. On verra bien ce que ça donne.

 

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Merci Dan. Continue à ne pas mourir tout de suite, on a besoin de tes mots encore longtemps. Comme ceux-là par exemple :

 

 

 

J'ai rencontré le plus minable

des chats de gouttière

sur un banc

en lisant un bouquin

fumant des Luckys à la chaîne

sur la plage de Venice

 

 

Il m'a vu et s'est pointé

blanc

sale

un œil vert

l'autre jaune

une coupure fraîche sur l'oreille en lambeaux

 

 

Furieux comme un loup blessé

il gardait la distance

l'air de dire, nourris-moi ou dégage

de ce banc, tu es sur mon territoire

 

 

Il ne savait pas que moi aussi je sais - le désespoir

et la folie

ce que le vide et la solitude et la rage peuvent te faire quand tu n'as rien d'autre que ta misère en poche et pour maison une Pontiac 78 déglinguée plantée dans une impasse de West L.A. et cette voix dans ta tête qui te mine et te tue un peu plus chaque jour et tu te réveilles et tu rebois de ce pinard à goût de pisse pour chasser la folie qui guette et Dieu devient ce type qui sort du 7-Eleven et te refile sa monnaie pour ta putain de bouteille et la peur est encore ce que tu ressens de plus cool et l'amour est mort et le temps est mort et même tes yeux sentent la mort et les voix hurlantes des gens que tu hais te ballonnent les tripes et le seul remède tient dans le petit miracle de vider le verre de plus

 

 

Le pauvre chat blanc ne savait pas que je suis taillé

 

 

dans le même tissu

 

 

la seule différence entre nous

                                           c'est dix ans et une machine à écrire

 

 

 

 

Extrait de "Katie", poème de Dan Fante in "De l'alcool dur et du génie".

 

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