12 Septembre 2024
Didier Roustan est parti. Je ne le verrai plus déambuler avec son chien autour du Café Bleu où nous avions discuté quelques heures. Il m’avait accordé de son temps pour me donner son avis, ses idées sur un projet consistant à proposer de la culture aux joueurs de football. Quelle connerie. Non pas que certains joueurs ne puissent pas y être sensibles car comment croire qu’un Javier Pastore n’ait pas cette étincelle au fond de lui, la même qui lui permet de voir avant tout le monde, de créer ce que d’autres ne verront jamais ? Non. Le problème n’est pas les joueurs et il me l’avait fait comprendre. Le problème, ce sont les clubs. Ces clubs tout puissants désormais qui emploient, utilisent, essorent puis jettent leurs joueurs, quoi qu’ils aient fait pour eux sur le terrain. J’arrivais trop tard. 20 ans, peut-être. Nous partagions cette vision romantique, humaine, sensible du football. Celle qui, irrémédiablement l’avait éloigné de ce milieu.
Car Didier Roustan était mû par le jeu, pas par le Je. Et le football « moderne » (sic), c’est le Je avant le jeu. Ce sont les statistiques froides, cliniques qui ne tiennent pas en compte de la beauté de ce sport, le collectif. Nous avions parlé de la science de l’espace d’Edinson Cavani, de ces appels et contre-appels créant des espaces pour l’autre, le partenaire, le copain ou du moins le collègue. Ça, ce n’est dans aucun outil statistique. Ça, c’est oublié par les OptaJean et autres mathématiciens sans âme. Car le football, c’est une âme. Celle qui nous faisait courir dans la boue derrière une sphère de cuir qui fait mal à la tête. Celle qui animait Diego Maradona, son idole, Eric Cantona, son ami, Johan Micoud et sa tête haute. C’était ça qu’aimait par dessus tout Didier Roustan. Le jeu. L’âme. Les copains. Et la fidélité. Fidélité à ses principes, fidélité à une vision tête levée, fidélité des valeurs.
C’est pour cette raison que Didier aimait les chiens. La fidélité. L’absence de jugement. Le don de soi, total, absolu. Dans le paysage audiovisuel français, Didier a toujours été un Ovni. Depuis ses début et jusqu’à sa fin. Sa vision du football, de la vie, des sentiments était anachronique. Car comment accepter ces joueurs qui partent à 25 ans dans un championnat en préfabriqué de coupeurs de tête ? Comment accepter ces joueurs que l’on jette après les avoir tant pressés, comment accepter ce manque d’âme, remplacé par des émoluments sonnants et trébuchants ? Comment aimer ces clubs cash-machine et leurs maillots Fourth ? Et puis quoi encore ? Didier regardait avec regret cette évolution-régression, lui qui avait démarré à la plus belle époque du football romantique, humain, les années 80. Comment valider ces financiers à la tête de clubs alors qu’il avait côtoyé Francis Borelli, Claude Bez, alors qu’il avait aimé Michel Le Milinaire, le Sphinx Robert Herbin, le Sorcier Daniel Leclerc et l'immense Johan Cruyff, symbole du football libre s'il en est un, tous des hommes avec une âme plus grande qu’eux ? Quand on aime Cruyff, Maradona et Cantona, on ne peut aimer le football moderne. Quand on a aimé George Best, Roger Milla et Marius Trésor, on ne peut s'enthousiasmer pour ces porteurs d’eau sur des kilomètres et des kilomètres et des kilomètres au service d’un système clinique, sans étincelles. Quand on a aimé Scifo, Francescoli et Chalana, on ne peut se contenter de ces athlètes sans gras, interchangeables (ce qu’ils sont souvent à la fin de la saison) dont le seul but est d’aller à la Fashion Week, de s’offrir une Frank Muller dispendieuse, onéreuse et m’as-tu-vu pour se choper une Instagrammeuse dont la seule valeur est la fermeté de son postérieur ? Non, décidément, Didier Roustan n’était plus à sa place avec ses fringues chinées dans des surplus, son amour du flamboyant football sud-américain (un des rares où la créativité a encore son mot à dire), sa passion pour l’humain avant le joueur, celle qui lui avait fait créer le premier syndicat des joueurs avec Maradona et Cantona. Des Ovnis comme lui. Des romantiques comme lui. Aujourd’hui, le ballon tournera moins bien. Il est un peu cabossé, comme notre vision du monde, si instantanée qu’on en oublie les fondamentaux : derrière chaque joueur, magnifique ou juste utile, il y a un homme, pas de la viande musclée. Et derrière la chemise rouge, la veste verte, les cheveux noir gris et l’écharpe de Boca ou d’Independientes ou de Cannes, il y en avait un aussi. Un grand, un sensible, un passionné qui nous manquera tant.