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Boulogne assassine encore Billancourt

 

Ainsi, parce que deux édiles l'ont décidé, comme on attribue un marché, comme on donne ou non une subvention, ainsi deux maires ont décidé de fusionner leurs deux villes. Boulogne-Billancourt convolera avec Issy-les-Moulineaux en juillet. Comme ça. Parce qu'on l'a décidé. Et cette super-ville s'appellera Boulogne-Issy. C'est comme ça aussi. On garde Boulogne mais adieu Billancourt, Renault, le bleu de travail, les trois huit, les petits rades, les ouvriers, le Front Populaire, les Marocains, les Algériens, les Italiens, les Polaks et les Russes côte-à-côte avec les Français. Billancourt zappée de l'histoire de la ville, de sa mémoire, de son identité comme on enlève un vilain tatouage au laser. Le chantier de l'île Seguin avait laissé une plaie sanglante encore vingt ans après mais là, on achève la bête. L'hallali. La curée. Quel gâchis. Mais surtout, comment peut-on, en 2016, encore imposer un tel changement aux habitants d'une ville sans aucune concertation, sans un référendum, sans en parler à 95% de la population qui le saura à peine ? N'est-ce pas important l'identité d'une ville ? Surtout quand elle est double comme à Boulogne-Billancourt, double comme son cœur ouvrier et son cerveau artistique. Double comme la sirène du matin et le clap de la scène de cinéma. C'est cette dualité schizophrène qui fait le charme, l'intérêt de Boulogne-Billancourt par rapport à d'autres villes.



 

Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt

C'est cette particularité que nous perdrions, non, que nous allons perdre car en tant que citoyens de la ville en question, il semblerait que nous n'ayons pas voix au chapitre. Payez vos impots et fermez-la. Les rues sont propres, vos enfants ont une place en crèche, n'emmerdez personne. J'aime Boulogne-Billancourt, j'y suis né, j'y habite, je connais son passé et je chasse les vieilles images par passion (voir ici http://boulbil.tumblr.com), j'ai arpenté ses rues une à une pour les photographier, j'aime sa singularité étrangement double, sa face double, des immeubles années 30 aux petites maisons d'ouvriers en brique, de ses passages dignes d'un roman de cape et d'épée aux derniers rades de Billancourt (il en reste quelques uns, oui). Tout ça va disparaître sans qu'en tant que Boulonnais, on me demande mon avis. Pas un mot. Pas une voix. Rien. Billancourt va-t-elle se révolter ? Elle n'est plus qu'une ombre sur laquelle le soleil a cessé de briller depuis longtemps. Boulogne va-t-elle s'offusquer ? Elle est trop bourgeoise pour faire la révolution, trop feutrée pour hausser le ton. "Boulogne assassine Billancourt" avait titré Jean Nouvel dans une célèbre tribune dans Le Monde le 6 mars 1999 (voir plus bas). On ne se rendait pas à quel point le meurtre était ignoble et prémédité. Si vous aussi, vous aimez bien qu'on vous demande votre avis à propos de l'avenir de votre ville, que vous soyez Boulonnais ou non, par souci de démocratie citoyenne normale et par courtoisie, signez cette pétition car ça donnera forcément des idées aux autres. Bientôt Saint-Clouteaux, Colomières, Neuillalois, Vanrouge et Montragnolet. Signez et faites tourner contre-la-fusion-entre-boulogne-billancourt-et-issy-les-moulineaux-sans-concertation

Boulogne assassine encore Billancourt
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Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt
Boulogne assassine encore Billancourt

Tribune de Jean Nouvel dans Le Monde le 6 mars 1999 à propos du, déjà, fiasco de l'île Seguin et du rasage de Renault.

 

"Ainsi, l’île Seguin serait rasée. Si cela advient, vous en êtes les responsables, Monsieur le maire de Boulogne et président du Syndicat intercommunal [Jean-Pierre Fourcade, NDLR], qui organisez ; Monsieur le P-DG de Renault [Louis Schweitzer, NDLR], qui sacrifiez ; Madame la ministre de la culture [Catherine Trautmann, NDLR], qui autorisez.

 

Déjà, les mauvaises langues se délient et se délectent. Elles disent, Monsieur le maire, que votre sens de la propreté petite-bourgeoise et votre dédain giscardien du monde ouvrier vous aveuglent. Elles raillent, Monsieur le PDG, la légendaire insensibilité énarquienne et soupçonnent que votre mépris de la lourde histoire de Renault et de son principal symbole autorise cette lâcheté. Elles interrogent, Madame la ministre, votre conscience des limites de notre patrimoine et affirment que la peur de contrarier de puissants intérêts vous laisse perpétrer cet assassinat urbain.

 

J’imagine plutôt, Monsieur le maire, que vous vous croyez innocenté par la célébration de votre somptueux patrimoine des années 30 : Le Corbusier, Mallet-Stevens, Tony Garnier et Patout réunis. Mais l’île Seguin témoigne aussi des années 30. Et certaines architectures sans architecte, nées des hasards, des nécessités et des contraintes géographiques, sont irremplaçables.

 

J’imagine aussi, Monsieur le PDG, que vous avez sous- estimé la responsabilité d’une grande entreprise sur son architecture industrielle. D’autres l’ont compris. Regardez le sort magnifique que Giovanni Agnelli a réservé, à Turin, au Lingotto.

 

Madame la ministre, Manhattan est trop loin et le Mont-Saint-Michel trop vieux, sans doute, pour que la sédimentation-concrétion d’îles et de presqu’îles soit une catégorie clairement identifiée dans les registres du patrimoine.

 

Mais je pense surtout qu’aucun de vous n’est sensible à la beauté de la Seine et à l’histoire de ses îles où Paris est né. Peut-être, comme M. le maire de Paris, pensez-vous qu’il faut à chaque occasion isoler le fleuve d’un cordon sanitaire vert, gommer toutes traces industrielles visibles (les magasins généraux, par exemple). Peut-être pensez-vous que la pollution de l’eau du fleuve est moins grave que ses pollutions visuelles et que peu importe l’odeur pourvu qu’on ait la verdeur.

 

Peut-être préférez-vous la politique du moindre risque, celle qui tend à annuler toute nouvelle construction par l’arbre. Peut-être misez-vous sur la démagogie verte pour faire avaler des programmes immobiliers plats et juteux ? C’est probable : l’asepsie de l’île Seguin est une pâle ineptie.

 

À la chlorophylle. Avec comme première vertu affichée ironie de l’histoire des berges sans voiture. Quelle idée remarquable ! Mais les rives de l’île Seguin sont déjà sans voitures. Elles sont abruptes. C’est un vaisseau de pierre. Régulièrement et largement percé sur ses flancs. La continuité de l’enceinte sur l’eau lui confère cette noblesse, qui d’habitude n’appartient qu’aux châteaux ou aux ouvrages militaires. C’est aussi beau que le krak des Chevaliers. C’est le krak des Ouvriers.

 

C’est aussi noble qu’un transatlantique ou qu’un porte-avions : monsieur le maire, monsieur le PDG, madame la ministre, baptisez-le « Charles-de-Gaulle » si ça peut le sauver ! Reconnaissons toutefois que le « Louise-Michel », le « Karl-Marx » ou le « Jean-Paul-Sartre » serait plus pertinent ! Mais il ne s’agit plus seulement de ne pas désespérer Billancourt : aujourd’hui, Boulogne assassine Billancourt. L’Ouest chic peut enfin s’affranchir de la promiscuité. Restons entre nous. L’ouvrier était sale ; son usine est laide !

 

Mais, aujourd’hui, qui assume la responsabilité morale de ne pas laisser oublier ou salir un symbole majeur du mouvement ouvrier en France. Vers qui dois-je me tourner ? C’est aux syndicats que ce devoir de mémoire incombe. Je m’adresse à vous, mesdames et messieurs les Secrétaires généraux, et d’abord à celui de la CGT. « Ce qui caractérise d’abord un espace, c’est la quantité de temps de vie qu’il a pu contenir », disait Gaston Bachelard. Combien d’hommes et de femmes ont connu la fermeture de leur lieu de travail ? Combien ont vu et dans quelle indifférence ¯ leurs usines, leurs mines, leurs ateliers rayés, cassés, ruinés ? Comment effacer de façon plus violente toute trace de votre vie ? Au nom de ces innombrables travailleurs, y aurait-il quelque chose de plus juste que de voir une revendication à côté de celles sur les conditions de rémunération et de travail, une seule, sur le respect de la mémoire du monde ouvrier et de ses symboles, prise en considération ?

 

Au-delà des représentants du monde ouvrier, les écologistes et les architectes sont concernés. Au nom de l’idéologie verte, on rase. Mais imaginez sur l’île Seguin, dans l’enceinte actuelle, une petite cité, au milieu du Grand Paris : rien ne l’empêcherait de s’organiser autour d’une grande place plantée, d’accueillir des immeubles-terrasses verdoyants. Imaginez ces grands murs avec des volumes en surplomb sur la Seine : restaurants, écoles, magasins, bureaux, logements. Imaginez une nouvelle île d’utopie qui soit un modèle de développement durable. Ou alors, imaginez (c’est plus facile) un lambeau de fade banlieue de plus, à la place de notre grand navire pétrifié. Imaginez comment l’insipide peut détruire le caractère. Si vous avez du mal, pensez aux pavillons de Baltard et à ce qui leur a succédé.

 

En ces temps électoraux, où se situe, monsieur le candidat des Verts, madame la ministre de l’environnement, votre conception de l’évolution urbaine ?

 

Mais c’est aussi au nom de l’architecture que sont faites ces propositions, au terme de concours successifs, analysés et commentés. Le monde des affaires est ainsi fait que les architectes appelés répondent à un programme qu’ils acceptent. Deux fois par le passé, j’ai tenté, avec d’autres, de faire évoluer radicalement des projets médiocres : les Halles et Seine Rive gauche. Ce qui n’a pas empêché des professionnels sérieux de se mettre au service de ces causes douteuses et de leur servir de caution.

 

Etudiants et architectes des projets de demain, c’est à vous de donner une autre image de ce métier. Nous entrons dans l’ère des transformations, des mutations urbaines sur les territoires déjà construits. Le temps des grandes rénovations au bulldozer est révolu. Si vous laissez raser l’île Seguin, vous augurez mal la conscience urbaine qu’on attend de vous, mal aussi le perfectionnement et l’approfondissement de l’urbanité de nos villes. C’est en militant que je vous parle : de l’architecture, de la transformation urbaine, de la friche de la Belle-de-Mai à Marseille, en défenseur d’un intérêt général (et non, on l’aura compris, de quelque intérêt particulier). Une association se forme, au sein de laquelle les militants vont élaborer un programme-cadre réaliste prenant en compte la pollution des bâtiments, leur vétusté, la nécessité de démolir, et en quelles proportions. Afin de démontrer, une fois encore, que l’identité parisienne peut se perpétuer dans le caractère de ses îles sur la Seine, de prouver qu’en cas de nécessité nous serons quelques-uns encore à barrer la route aux bulldozers, à défendre l’image ouvrière, à réclamer l’inscription de l’île Seguin sur les registres de notre patrimoine. Quelques-uns à tout mettre en oeuvre pour donner une nouvelle vie au krak des Ouvriers."

 

Boulogne assassine encore Billancourt
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