12 Décembre 2021
Si vous habitez Boulogne-Billancourt, vous connaissez peut-être le Parc Rothschild. Un lieu hors du temps, magnifique, unique. Un parc de la belle époque avec ses forêts reconstituées, ses ponts japonais, son lac, propriété des poissons-chats, des grenouilles et des canards et son château construit de 1855 à 1861 dans le style Louis XIV. Un lieu qui fut jusqu'en 1939, la résidence de la famille Rothschild mais qu'ils durent abandonner devant l'avancée allemande vu que leur patronyme était un peu verboten. Ci-dessous, le château dans les années 20 et une vue aérienne des superbes jardins à la française datant de 1921.
Pendant l'Occupation, les Allemands ravagent le château, son parc et envoient tout ce qui a de la valeur (œuvres d'art, meubles, statues, décors etc...) en Allemagne. Après leur départ, les Alliés y installent un centre de transit et finissent de saloper le travail. Les pagodes, les portiques, les ponts, les kiosques, les arbres du parc servirent de bois de chauffage, le reste de la décoration intérieure disparut. Le parc subit le saccage des poids lourds auxquels il servait de stationnement. Le château est nu, le parc, exsangue. À leur retour, les Rothschild découvrent le château tellement saccagé qu'ils décident de le quitter définitivement. Sur cette image aérienne de 1945, on aperçoit les baraquements et tentes des Alliés et l'état du parc totalement dégradé.
Vient ensuite un long et progressif démantèlement. En 1962, Miriam-Alexandrine de Rothschild cède six hectares du parc pour l'édification de l'hôpital Ambroisé Paré, terminé en 1969. Pendant ce temps là, le château continue à dépérir. En 1974, Marguerite Duras y tourne les intérieurs et quelques extérieurs de son film India Song avec Delphine Seyrig et Michael Lonsdale avant que la partie sud du parc ne soit amputée pour la construction du futur accès à l'A13. Adieu le potager centenaire.
En 1979, les 15 hectares du parc sont cédés à la ville pour un franc symbolique et un hectare et demi au nord est est loti pour devenir ce qui est désormais la Villa Alexandrine. Puis en 1986, le château et ses alentours sont vendus par le baron de Rothschild à la société Jogo BV détenue par le cheik Saoudien Khalid Abdulaziz Al Ibrahim qui, paraît-il, pensait avoir acheté l'ensemble du parc et le château et s'estimant floué, décida de ne pas faire les travaux de restauration prévus. Quelqu'en soit la raison, abandonné une fois de plus, le château dépérit lentement et subit même deux incendies en 1994 et 2003. Ci-dessous, l'état du château en 2012.
Quelle joie donc pour tout boulonnais arpentant régulièrement les gazons et aires de jeu de ce parc magnifique que d'apprendre qu'en 2016, Novaxia rachète la société Jogo BV et devient propriétaire du château pour lequel ils ont, quelle chance, un magnifique projet de rénovation. Quel espoir de savoir que ce lieu superbe va enfin revivre. Ces belles images, ça donne sacrément envie.
Évidemment, à la mairie, on trépigne, on se félicite et on en profite pour se faire un peu de publicité au passage dans le BBI ou avec la carte de vœux. Normal, un si beau projet, une réhabilitation aussi incroyable, un tel miracle après avoir craint le pire pour le château, on peut en être fier.
Lors des Journées du Patrimoine en 2017, Novaxia fait le show et ouvre le château Rothschild aux boulonnais avec une expérience virtuelle en réalité augmentée permettant de visualiser ce qu'étaient les intérieurs du château aux début du XXe siècle. Une belle couverture médiatique pour Novaxia, des journalistes de partout, des boulonnais ravis, des élus fiers. Le château est enfin sauvé, il va revivre.
Novaxia propose même un film en réalité virtuelle tout à fait alléchant pour appâter le chaland.
Le problème, justement, c'est que cette réalité est restée virtuelle. Car à l'aube de 2022, après... cinq ans et bientôt six, il ne s'est rien passé. Mais rien du tout. Ah si, le bâchage de protection du toit s'est crevé puis arraché. Réaction de Novaxia ? Rien. Le toit s'effondre de plus en plus au centre du bâtiment. Réaction de Novaxia ? Rien. Ça tombe à droite, ça tombe à gauche, ça se détériore depuis cinq ans et Novaxia attend cyniquement que le vieux rende son dernier souffle pour toucher le pactole. Contrairement aux belles annonces faites, ce n'est pas une rénovation. Ça ne l'a jamais été. C'est une volonté délibérée, calculée de ne rien faire, d'attendre que ça tombe totalement pour tout raser et reprendre à zéro. C'est économiquement bien plus intéressant que d'avoir à réhabiliter un château classé Monument historique depuis 1997. Cinq ans de rien validées par la mairie qui ne s'en offusque pas, qui le voit bien (récemment, l'opération Animal en Ville avec de nombreux élus et le maire lui-même se tenait au pied du château) qui s'en contente parfaitement et qui en fait même un argument de vente pour leur modification du PLU si décriée. Oui, on s'occupe du château et du parc avec Novaxia, oui, bien sûr... Ci-dessous, des images prises il y a quelques jours.
Le constat est là, alarmant et toutes celles et ceux qui passent des magnifiques moments dans ce parc hors du temps ne peuvent que le partager. Novaxia s'en fout, Novaxia se fout de nous et la mairie aussi, complice par immobilisme. Il serait peut-être temps de les interpeller massivement sur les différents réseaux, Twitter, Facebook ou Instagram où ils font leur pub pour savoir où ils en sont de ce projet que nous attendons tous avec impatience.