18 Juillet 2018
J'ai eu récemment une délicieuse conversation littéraire avec ma copine Denise Donders lors de laquelle je lui évoquais le bonheur de se plonger dans un Raymond Carver. Ce que je fis à nouveau, après la dite conversation. Et c'est vrai que c'est bon. Si bon. Alors autant en partager un bout avec vous. Oui, vous les double-champions du monde, tous et toutes autant que vous êtes (sauf Henry de Lesquen et Jérôme Bourbon).
"Ce matin, c'était quelque chose. Un peu de neige
sur le sol. Le soleil flottant dans un clair
ciel bleu. La mer était bleue et bleu-vert,
à perte de vue.
À peine une ride. Le calme. Je me suis habillé pour aller
me promener – résolu à ne pas rentrer
avant d’avoir engrangé ce que la nature avait à offrir.
J’ai suis passé devant de vieux arbres penchés.
J'ai traversé un champ caillouteux
semé de congères. Ai poursuivi
jusqu’à la falaise.
D'où j’ai contemplé la mer, et le ciel, et
les mouettes virant au-dessus de la plage blanche
loin en contrebas. Tout était ravissant. Tout baignait dans une froide
et pure lumière. Mais, comme d'habitude, mes pensées
se sont mises à vagabonder. J'ai dû me contraindre
à voir ce que je voyais
et rien d’autre. J'ai dû me dire voilà
ce qui compte, pas le reste. (Et je l’ai bel et bien vu
l'espace d'une minute ou deux !) Une minute ou deux
cela n'a pas laissé place aux rêvasseries habituelles sur
ce qui est bien, et ce qui est mal – le devoir,
les tendres souvenirs, la pensée de la mort, comment je devais traiter
avec mon ex-femme. Toutes les choses
dont j’espérais être débarrassé ce matin.
Les trucs avec lesquels je vis tous les jours. Ce que
J'ai dû piétiner pour rester en vie.
Mais une minutes ou deux j'avais réussi à oublier
moi-même et tout le reste. Je le sais.
Car en rebroussant chemin je n'ai plus su
où j’étais. Jusqu’à ce que des oiseaux s'envolent
des arbres noueux. Et filent
dans la direction qu'il me fallait prendre."
Raymond Carver in La vitesse foudroyante du passé.