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Chroniques du coin X

Chroniques du coin X

 

Chroniques du coin X

 

 

Lenôtre pouvait aller se rhabiller. Dans le jardin de monsieur et madame G, rien ne dépassait, lignes tirées au cordeau, végétaux au garde-à-vous. Le chignon de madame était à l’avenant. Toujours coquette sans être endimanchée, elle ne cessait de lisser ses quelques cheveux rebelles sans s’en rendre compte. Un tic, un toc comme celui de lisser son tablier à l’ancienne. Toujours impeccable. Bien que dépassant à peine le mètre soixante, elle avait une vraie classe dans son genre. Mais sa plus grande fierté avec monsieur, c’était leur jardin. Derrière leur petite longère normande aux murs bleus en bord de départementale, le potager représentait 98 % de l’espace. Les deux pour cent restants étaient les allées de gravier parfaitement entretenues elles aussi. Dès qu’une mauvaise herbe montrait sa tête, monsieur agissait et d’un coup de binette, rétablissait l’ordre et l’équilibre immédiatement. Pas de place pour l’approximation.

 

La production du potager était bien trop importante pour eux deux et madame offrait fièrement, et régulièrement, courgettes, persil et concombres à ses voisins. Elle était née dans le coin. Dans la commune même. Lui venait des Charentes, s’était trouvé un travail en Normandie avec son frère dans leurs jeunes années et était resté dans ce pays qui n’était pas le sien. Peu à peu, il avait perdu sa pointe d’accent de langue d’oc mais n’avait pas acquis celui de sa femme. Ce qui ne l’empêchait pas de voter RN comme tout le monde ici alors qu’ils ne voyaient jamais, ou quasiment, de Français d’origine émigrée. Mais il fallait bien, comme depuis la nuit des temps, des bouc-émissaires sur qui rejeter la faute. C’est à cause d’eux, voyez ? Une histoire éternelle que les juifs, les protestants, les Italiens, les Polonais, les Portugais, les Espagnols, les Africains et les Maghrébins partageaient. Elle regardait avec suspicion et incompréhension les femmes voilées sur les marchés en omettant de se rappeler que sa propre mère en portait un chaque dimanche. On ne se présente pas la tête nue face à Dieu, quel qu’il soit. Mais le leur était forcément supérieur puisqu’il était le bon.

 

Les miracles n’étaient en tout cas pas nécessaires pour leur assurer une belle production. Ils savaient faire et étaient passés maîtres ès jardinage. Leur potager regorgeait de tout. Tomates charnues et goûtues, patates, oignons, salades, haricots verts, navets, carottes, concombres, persil, cerfeuil constituaient le gros de leur production qu’ils consommaient quand c’était possible et congelaient pour l’hiver. Avec un peu de gibier quand monsieur faisait mouche et un peu de poisson quand il avait une touche, ça leur faisait l’hiver. Ils n’allaient que très rarement au Cora du coin si ce n’est pour la Foire aux vins où ils achetaient à bon prix des bouteilles qu’ils ne buvaient qu’assez rarement. Mais une bonne affaire est une bonne affaire, faut pas gâcher.

 

Un de leurs voisins les avait remerciés par une bouteille de très vieux pineau des Charentes, celui avec ces arômes de noix exceptionnels. Ils n’y avaient pas encore touché. Mais il n’avait pas pu résister au Gigouri, un pâté de chez lui que sa maman préparait une fois par an. Ce fut, probablement, sa seule folie de l’année. Tout le reste était millimétré, pondéré, simplifié. La vieille horloge sur le mur, celle du grand-père, égrenait les secondes tandis qu’elle écossait les haricots. Lui ne l’entendait même plus, sauf à heure fixe quand son carillon sonnait.

 

Le dimanche, il partait à la chasse, non pas pour tuer mais pour promener son chien arthritique. Il ramenait de moins en moins de gibier chaque année mais encore de quoi se faire un bon civet de temps en temps. À la pêche, il avait globalement plus de chance. Pour elle, il n’y avait pas de dimanche ou de lundi. Quand il n’était pas là, elle briquait. L’argenterie de la mère, les meubles du père, le sol commun. Et quand c’était fini, elle se remettait un coup de frais avant de s’atteler au potager.

 

Tous les soirs, au coucher du soleil, monsieur et madame s’asseyaient sur un banc construit par monsieur au fond à droite de leur jardin et regardaient leur potager avec, pour ligne d’horizon le mur du voisin. Ils se tenaient la main en silence jusqu’à ce que la nuit les prenne. Le potage de légumes et de pommes de terre était prêt, chaud dans la soupière.

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