16 Octobre 2018
... Il est arrivé sans un bruit sur scène où l'attendaient deux guitares et une table. Sobriété. À peine un geste de la tête. Timidité. On dirait presque qu'il s'excuse d'encore exister. Il est là sur cette scène minuscule des Bouffes du Nord, théâtre sans âge mais si charmant. Ça lui va parfaitement. Dès les premières notes, il rappelle qu'il est encore bel et bien là. La voix n'a quasiment pas bougé, elle a gagné des graves, le corps est un peu plus rempli, le jeu sur les cordes est un peu rouillé. Il le dit, il a peu joué ces derniers temps, trop occupé à enregistrer son nouvel album chez lui. Il lance quelques piques à ses anciens partenaires d'Universal qui se sont soudainement rappelés il y a deux ans qu'il n'était pas mort. Bim, prends ça. Il a accepté de faire un coffret avec eux. Puis comme le premier a tellement bien marché, il en a accepté un second, celui contenant les albums solos que chez Universal, "ils n'avaient pas trop aimé". But business is business et à bientôt 58 ans, difficile de cracher sur une telle opportunité. À cinq mètres de son public, il enchaine les classiques et les nouvelles chansons, termine chacune par une légère révérence. Humilité. À l'anglaise. Un thank you discret mais on sent qu'il apprécie d'être aimé. Encore.
Il reprend ses standards juste à la guitare, la voix nous enveloppe comme un doux souvenir. Libérés des accords compliqués, des autres instruments, des Commotions, on redécouvre qu'il est avant tout un conteur. Chaque histoire se déroule devant nos yeux, comme en Kinémascope. Nous sommes les spectateurs privilégiés de sa vie, de ses humeurs, de ses peines. Are you ready to be heartbroken ? On l'est, Lloyd, on l'est. Tout y passe dans les classiques, No blue skies, Lost Weekend, Perfect Skin, Don't look back, Rattlesnakes, Brand new friend, Downtown. J'ai 16 ans, ma femme à peine plus. Ça tombe bien, on est ensemble depuis cette époque. Dans toutes ces versions à l'épure, grattées jusqu'à l'os sur lesquelles parcourent ses doigts, on retrouve l'essence même de ce qui a fait son succès, une sensibilité presque anachronique dans ce monde sans foi ni loi, une émotivité qui guide ses pas, un vrai talent de conteur susurrant à l'oreille de toutes et tous. Et cette élégance toute anglaise. Gentleman Lloyd. Il s'amuse de son âge, explique qu'il n'arrive plus à voir son accordeur électronique alors il fait ça à l'oreille, à l'ancienne. Il termine avec Forest Fire et on se dit tous qu'on aimerait bien remettre un peu d'essence sur ce foyer qui s'amenuise lentement. Mais non, c'est terminé et Lloyd repart, laissant un paquet d'orphelins se démerder tout seuls. Heartbroken again. Il reste heureusement son album auto-produit chez lui qu'il vend à la sortie, pour retrouver le sourire. Et un peu de sa vie en galette quand on a envie de la mélanger avec la nôtre.