28 Mai 2019
... Il y a plus de 20 ans quand je suis arrivé dans mon quartier, il y avait au coin de ma rue un boucher. Bourru, pas toujours sympathique, ce boucher avait pourtant ses fans puisque des clients venaient même du XVIIIe arrondissement pour acheter une de ses spécialités... la salade de carottes. Oui, étrange pour un boucher mais c'est vrai qu'elles étaient divines avec une recette inédite que jamais il ne partagea. Sur les étals de ce boucher un peu particulier, il n'y avait pas de prix. Du jour au lendemain, un steak haché pouvait doubler selon que monsieur se soit réveillé du bon pied ou non. Reste encore de la présence de ce commerce une splendide tête de bélier au-dessus de la porte.
Depuis, la boucherie est devenue un appartement comme nombre d'anciens commerces de mon quartier, le plus ancien de Boulogne qui vibrait des cris des Italiens (installés en masse en 1871 après l'incendie de Saint-Cloud), des vendeurs de vin en gros, des cafetiers et des tenanciers d'hôtels meublés décrépis. À cet emplacement, il y avait toujours eu un boucher depuis 1900 et probablement même avant. Sur les images de 1905 à 1920 ci-dessous, la boucherie est à droite toute. Avant de prendre sa retraite, le boucher me racontait qu'il avait connu des vaches dans le quartier.
Plutôt circonspect, j'avais totalement oublié ce détail jusqu'à ce que je farfouille pour un ami dans mes disques externes remplis de photos qui n'en sortent que rarement. Et soudain, à la vision d'une image que j'avais pris en 2007 et totalement oublié depuis, tout me revint. Parmi les commerçants encore présents dans le quartier à mon arrivée, il y avait en bas de chez moi un salon de coiffure bien fifties qui, lui aussi, fut transformé en habitation.
Lors des travaux pour réhabiliter ce commerce en appartement en 2007, j'avais pris une image de la boutique remise à nu avant modification. Et en revoyant cette image qui laissait apparaître les splendides lettrines du commerce précédent, Vaneville Nourrisseur sous les lambris pourris de la coiffeuse, la conversation avec mon boucher ressortit de sa boite.
Mais d'abord, qu'est-ce qu'un nourrisseur ? Nous tous, avec nos City Market tous les 200m, nous ne savons pas du tout ce qu'était un nourrisseur. Le nourrisseur fournissait... du lait aux familles et aux nourrices qui nourrissaient donc les nourrissons. Hahem, d'accord. Lait = souvent vaches. Tiens, tiens, mon boucher avait-il raison ? Alors je me mis à chercher et je tombe sur un commentaire posté sur un blog boulonnais malheureusement plus mis à jour, Le Hameau Fleuri où un Boulonnais mentionne le nom de Vaneville Nourrisseur.
Mais corne de carabistouille, mon boucher avait-il raison (alors que je pensais qu'il abusait un peu du goulot vu la couperose avancée de son visage de Normand fatigué) ? Étant passionné d'histoire, notamment celle de ma ville et sachant où chercher quand ce genre de questions se pose, je fonçais sur le site de l'IGN où il est possible de consulter et de télécharger des prises de vues aériennes depuis 1919. Et vlà-t-y pas qu'au coin de ma rue, en zoomant dans une prise de vue de 1921, je trouve des ombres pour le moins étranges.
En poursuivant selon les clichés disponibles, je remonte le temps en rase-motte au dessus de mon quartier. 1930, 1940, 1950, toujours rien, 1958 ça n'a pas bougé et c'est seulement en 1963 qu'un nouvel immeuble remplace l'enclos des vaches et que les étables au fond de la cour derrière l'immeuble sont transformées en parking. Le boucher avait donc raison. Salutations, mon boucher aux carottes râpées.
Pour les amateurs et amatrices de Boulogne-Billancourt, passez donc faire un tour sur un autre de mes blogs Boulbil consacré à répertorier la mémoire et l'histoire de cette ville que j'aime profondément et qui tend à lentement disparaître pour devenir une autre Levallois par manque d'intérêt et de respect pour son patrimoine. Mais pour finir malgré tout sur une note positive, voici un petit smiley offert par le château Rothschild du temps de sa splendeur dans les années 30.