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Entre Sciacca et Selinonte

 

Peut-être qu’elle aurait dû l’écouter, se contenter de la piscine de la villa mais après tous ces mois d’attente, elle ne pensait qu’à ce moment-là, cet instant régressif, enfantin où la douce morsure de l’eau fraîche, la lourdeur du sel effaceraient les petits cheffaillons de l’année, les mains volages, les clients insupportablement sûrs de leur fait, même dans l’erreur. Tout s’effaçait, dans ses cheveux qui flottaient entre deux eaux, dans ses yeux qui s’accrochaient à ces deux ridicules nuages, bouées qu’elle laissait dériver en même temps que son corps de maman de trois enfants. Au loin, elle les entendait crier, s’éclabousser mais sans vraiment le vouloir. Une sorte d’instinct. Elle se concentra sur le clapotis. Le soleil chauffait son visage, picotait délicieusement. Elle le ressentit arriver près d’elle, elle connaissait par cœur sa présence, son volume mais décida de garder les yeux fermés. Quand elle sentit sa main le frôler, elle sourit mais continua à garder ses yeux clos. Elle aurait voulu qu’il la prenne par dessous, pour lui tenir la tête un peu plus hors de l’eau, qu’il la fasse léviter encore mieux dans cette bulle de bonheur. Elle se prit à penser que s’il s’était un peu enhardi, elle ne lui aurait pas dit non. Un frisson la parcourut. Mais il ne faisait rien, si ce n’est tourner autour d’elle. Une touche. Puis rien. Elle en aurait voulu plus mais continuait à jouer à ce petit jeu, paupières baissées. Si elle les ouvrait, il se peut que le charme se rompe et là, elle n’en avait pas, mais vraiment pas envie. Elle oubliait les cons, les abrutis, les haineux, les petits, les alertes sms de la banque, les pressions familiales, les amis intéressés. Elle oubliait même le bon. Elle oubliait tout. Le sel lui piquait les lèvres, le ressac la portait. Ce soir, ils allaient faire l’amour après avoir certainement un peu bu. Sans trop faire de bruit. La maison était belle, plus que sur les images mais les chambres étaient toutes proches. Elle pensa à la robe qu’elle allait mettre et sourit en se disant qu’en dessous, elle n’avait pas forcément besoin de porter de culotte. Une légère vibration sourde dans l’eau, un ronron un peu long lui fit ouvrir les yeux. Le temps de réadapter sa vision, elle fixa le petit avion qui passait au loin - à cette distance, la bannière publicitaire qu’il traînait derrière lui était illisible - et quittant sa station horizontale, elle se retourna vers lui. Lui n’était pas lui. Lui n’était pas son mari. Son mari n’était pas noir. Son mari ne portait pas de gilet de sauvetage. Son mari n’était pas mort, ni noyé. Mais son mari entendit son cri, la moitié de la plage, les clients des paillotes et les sauveteurs qui n’avaient plus rien à sauver aussi.

Entre Sciacca et Selinonte
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E
Excellente l'idée de départ, quelques points de détail à reprendre pour bien être toujours dans le ton (des mots à changer et peut être reprendre encore une fois la fin, on sent bien que ça a été très travaillé déjà mais peut et doit mieux faire (je ne sais pas comment, évidemment). Mais très bonne idée de se lancer dans ce genre littéraire de la short story avec le style qui va: tout le début est parfait, absolument parfait, on ne touche à rien! Ça se ramollit un peu quand elle rêve de ce qu'elle fera le soir (clichés) et ça trébuche un peu au moment le plus important mais c'est pas grave, faut reprendre, recommencer jusqu'à ce que tout colle, que ça fuse du début à la fin sans qu'on ait pu reprendre son souffle, allez au taf Hihihi
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