19 Mai 2020
... Même si vous n'avez jamais entendu parler de Matthias Sindelar, même si vous ne connaissez rien au football, il se pourrait que vous adoriez "L'homme qui n'est jamais mort" d'Olivier Margot, ma dernière "illumination" littéraire. Car si effectivement Matthias Sindelar était le meilleur joueur de football au monde dans les années 25 à 35, s'il inventait à chaque match de nouvelles figures, de nouvelles manières, de nouvelles voies, Sindelar n'est que la colonne vertébrale de ce livre magnifiquement écrit. Le reste ? Vienne la Rouge, un idéal social-démocrate, Vienne l'intellectuelle avec un cosmopolitisme, une vie, une ferveur de connaissance. Sindelar, bien que né en république Tchèque a joué quasiment toute sa carrière à l'Austria de Vienne et a vécu ce que Vienne pouvait offrir de meilleur, le talent, les idées, les goûts, les gens et ce qu'il y eut de pire à l'orée de la montée progressive du Nazisme partout en Europe, absorbant au fur et à mesure l'Autriche, son pays de cœur. Face à ces extrêmes, Matthias Sindelar s'est toujours tenu droit. Il a même humilié Hitler en marquant lors d'un match où il était interdit de gagner. Pour ses idées, ses convictions, ses frères de combat, pour ses racines ouvrières et ses ambitions de rêveur, Matthias Sindelar a toujours tenu. Matthias était l'âme et le moteur du Wunderteam, le nom de l'équipe d'Autriche, malgré un physique chétif dont on tira son surnom "L'homme de papier". Sindelar fréquentait à la fois les cafés ouvriers (il en racheta même un à la fin de sa vie pour aider un ami juif) et les cercles intellectuels, Sindelar avait une conscience de son époque (un truc que les footballeurs actuels ont assez peu) et l'idée que la liberté se conquiert sur le terrain, ensemble et qu'elle mérite tous les sacrifices. Dont le sien en 1939 mais je ne vous en dis pas plus pour ne pas tout déflorer.
Il y a en plus de la trame, du personnage et de l'époque, une plume qui fait subtilement vivre l'époque et le mythe. Olivier Margot, ex-rédacteur en chef de L'Équipe l'a bien affutée et nous emmène dans une valse ininterrompue pour découvrir la vie de celui qu'on appela le Mozart du foot. Des moment de fulgurances et de poésie que Blondin n'aurait pas reniés. "1934 est l'année du grand basculement, fait de cieux d'angoisse, d'escarpements, d'instinct de mort renvoyant à une sauvagerie première. Le temps lui-même craque de toute part devant l'assaut d'une barbarie naissante. Dans les embrasures s'infiltrent des fantômes, les morts de faim des années 20, quand six Viennois sur dix n'avaient d'autre choix que la mendicité." ou encore Sindelar en parlant d'un match capital en Italie fasciste dans une Europe qui sombre dans l'obscurité : "Ce voyage à Turin est une chance inouïe, parce que c'est autant d'heures volées au désespoir."