... Il s'est assis là. Dans le froid, sur un petit siège pliant, probablement un peu
branlant. Ou alors il était au chaud, à la terrasse d'un café avec cette vue imprenable sur le carrefour et l'église un peu plus loin. Il a regardé un tramway passer et s'est dit qu'une
touche de bleu rehausserait l'arrière-fond presque monochrome de cette journée d'hiver à Vienne. Il a sorti son bloc de sa besace, ses crayons, sa petite boite d'aquarelle et il a posé le
tout avec précaution devant lui. Ses yeux ont regardé la scène, cherchant les perspectives, la profondeur, vérifiant l'intérêt de la composition. Au fusain ou au crayon, il a esquissé les grandes
lignes, cherché son point de fuite. Puis il a précisé le trait, pris le temps d'étudier et de reproduire chaque détail, donné vie à la page de papier en figeant l'instant. Tout cela lui a pris du
temps, au moins trois heures, à sentir la vie et tenter de la reproduire. Il ajoute les dernières touches, finalise ses effets, travaille ses ombres et rajoute cette femme qui passe avec un chien
qui jappe de plaisir en sachant que la charcuterie est juste à côté et que sa maîtresse passera devant, comme tous les jours. Il regarde l'ensemble, renforce un peu le bleu du tramway pour que
l'œil ne puisse le manquer. Il pose la feuille encore un peu gondolée devant lui. Il l'ausculte, l'air satisfait. Il commande une seconde bière au serveur qui passe devant lui. Il attend que la
feuille sèche, la range délicatement dans son cahier d'études pour ne pas la froisser, boit sa bière, paie et s'en va. Il s'engouffre dans l'image qu'il vient de créer, plonge dans cette réalité
en un clin d'œil comme Mary Poppins dans les paysages de craie d'un trottoir londonien.

Un peu plus tard, il découvre cette église en ruines, éventrée vers le ciel. Elle lui parle. Il la peint aussi, patiemment, dans ces tons orangés de fin de journée. Puis cette scène devant
l'Opéra avec deux hommes en haut-de-forme en pleine discussion, qui témoigne d'une vraie maîtrise. Ou encore cette porte monumentale, fière et imposante qu'il restitue avec un certain talent.




Il peaufine cette étude de statue à la sanguine. Le drapé, les ombres, le pied. Il aime la culture, va écouter les opéras de Wagner avec des amis, il profite de sa vie de bohème, insouciant et
léger même s'il apprécie peu la peinture de ses contemporains. Il rêverait de faire les Beaux-Arts de Vienne et si son style n'a rien de révolutionnaire, il n'est pas mauvais non plus. On peut
même dire qu'il a du goût et un bon coup de crayon. Alors, il va tenter sa chance au concours d'entrée en 1907. Il est recalé. Il essaie encore en 1908. Recalé une seconde fois. C'est bien
dommage pour l'humanité. Un éventuel artiste s'éteint. Adolf Hitler est né. À quoi tient le monde.

Certaines des aquarelles d'Adolf Hitler ont été présentées à la Fiac en 2008, vaguement customisées par deux artistes anglais rois de la provoc', Jake et Dinos Chapman, sous l'égide de la galerie
White Cube de Londres qui nous a habitué à bien mieux que ça. En gros, ils avaient rajouté des arcs-en-ciel sur les aquarelles, sous le thème pourri de "If Hitler had been a hippie, how happy
would we be ?". Une démarche artistique tellement consternante de nullité que j'en parlerai à peine et déjà, j'en ai trop dit. La série des 11 aquarelles customisées s'est vendue en deux heures
pour 815 000 euros à des collectionneurs abrutis et consternants de connerie aussi. Vive l'art contemporain et merci Den pour cette idée...