... Eh oui, ils sont déjà de retour. Si vous avez manqué Cielo Drive
dans la cave, si vous avez manqué Cielo Drive à la salle Polyvalente de BB, si vous avez manqué Cielo Drive sur la Grand-Place, si vous avez manqué Cielo Drive au
Gibus, si vous avez manqué Cielo Drive au New Morning, si vous avez manqué Cielo Drive à l'Elysée Montmartre, vous pouvez aussi manquer Cielo Drive au Parc Rothschild aujourd'hui
à 18h à Boulogne pour la Fête de la Musique. Ou sinon, vous pouvez venir. Moi, en tout cas, j'y serai. Mais je n'ai pas de mérite, c'est à deux minutes de chez moi.
En plus, ce parc est absolument splendide, avec un jardin japonais, un peu de forêt des Vosges et beaucoup, beaucoup d'espace pour s'ébattre joyeusement et regarder un splendide château tomber en
pièces car son propriétaire saoudien s'en bat les joyeuses. Quelques infos ci-dessous.
CHATEAU A L'AGONIE
Pillé, amputé d’une partie de son parc, délabré, par deux fois incendié… le château Rothschild, à
Boulogne-Billancourt, tombe de Charybde en Scylla. Malgré les efforts de la Ville pour le sauver.
Aux trois quarts enfoui sous les ronces, caché par des broussailles au fond du parc Edmond-de-Rothschild, coincé entre l’hôpital Ambroise-Paré et la bretelle de l’autoroute A13, se dresse un
spectacle de désolation et de ruines. Tagué, squatté, pillé, sans toiture, à moitié bâché, noirci par des incendies, les corniches en miettes, l’escalier à double révolution en morceaux, le
château Rothschild offre l’image du délabrement. Ce fut pourtant l’une des plus belles propriétés des environs de Paris et les fêtes les plus somptueuses s’y déroulèrent. Son histoire est
étroitement attachée à celle de la France. En 1817, James de Rothschild achète au banquier Charles Davillier, à Boulogne, face aux coteaux de Saint-Cloud, les sept hectares de l’ancien
domaine du marquis de Rambouillet. Il y installe sa famille, agrandit la propriété jusqu’à plus de trente-cinq hectares, et donne des réceptions où le tout-Paris se presse.
Un chroniqueur de l’époque écrit : « Le charme de ces jardins était tel que le domaine était devenu le lieu de réunion favori des poètes, d’écrivains, d’artistes et d’hommes politiques parmi
lesquels on peut citer Thiers, Guizot, Berryer, Émile de Girardin et sa femme, Henri Heine, Rossini, Chopin, qui y furent souvent reçus par le baron et la baronne. Il y a écrit et dédié à la
fille du baron, Charlotte, sa quatrième ballade en fa mineur. » En 1850, le baron décide de démolir la demeure qu’il juge trop modeste et de confier à l’architecte Armand Berthelin et au
peintre Eugène Lami la construction d’une nouvelle habitation « convenant à une famille riche et recevant beaucoup ». Le modèle en sera le château de Clagny, œuvre de Mansart, ainsi que
Versailles pour la cour intérieure. Une composition rectiligne où les horizontales dominent : terrasse à l’italienne, balustrades scandant les deux avant-corps latéraux et le corps principal.
La façade d’entrée et celle du jardin sont presque semblables, avec des éléments inversés : colonnes en marbre rouge du Languedoc et en porphyre, chapiteaux en marbre blanc, carreaux en
marbre blanc et noir alternent avec des panneaux de mosaïques. Les bustes sur console, les vases de bronze et statues qui ornent les tables de pierre entre les baies sont des réminiscences de
la cour de marbre de Versailles ; la polychromie de la façade est caractéristique du second Empire qui aime le faste, la magnificence et les matériaux de couleur. Le parc est aménagé à
l’avenant et devient le rêve de tout paysagiste. Soixante jardiniers y travaillent sans relâche. La Gazette de la Société d’horticulture mentionne en 1879 : « C’est l’un des parcs les plus
grandioses, les plus accidentés et les mieux ornés des environs de Paris…
Il n’est point d’aussi beau jardin paysager avec ses points de vue, ses grandes pièces d’eau, rochers et cascatelles, vallonnements, chalets, ponts de bois et serres… un lieu enchanteur de
plus de soixante mille plantes les plus exotiques couvertes de plus d’un million des fleurs les plus rares. » En 1900, le baron Edmond, son fils, fit dessiner sur un hectare un jardin
japonais avec pagode, kiosque à thé, portique et ponts. La famille continuera à embellir le château et à l’orner jusqu’en 1939. La guerre oblige les Rothschild à fuir à Londres. L’état-major
de la Kriegmarine s’installe dans la propriété désertée et la pille. Les œuvres d’art, meubles, tableaux, statues sont envoyés en Allemagne. Les Américains leur succèdent à la Libération et
en font un centre de transit, achevant sans état d’âme l’œuvre de destruction : les boiseries dorées, la pagode et le kiosque chinois servent de bois de chauffage. Le parc est défoncé pour
faire manœuvrer tanks et camions, les plantes et bosquets sont arrachés. On imagine sans peine la consternation de la famille de Rothschild à son retour. Elle part en Suisse et n’habitera
plus jamais cette maison.
Les catastrophes ne s’arrêtent pas pour autant. Le ministère de la Reconstruction exproprie sept hectares de parc en 1948 pour bâtir l’hôpital Ambroise-Paré. Deuxième amputation avec la
construction du raccordement de l’autoroute au périphérique, inauguré en 1974. Les serres, l’orangerie, les restes de la roseraie et une double allée de superbes marronniers roses séculaires
disparaissent. Le baron Edmond fils décide alors, en 1979, de faire don à la Ville de Boulogne, pour un franc symbolique, des quinze hectares de parc restant et vend le château, en 1981, pour
la somme de 48 millions de francs, à un riche Saoudien, par l’intermédiaire d’une société hollandaise immatriculée à Amsterdam, Jogo. Le nouveau propriétaire se désintéresse aussitôt de son
acquisition et laisse la demeure se délabrer totalement. Suite à un incendie partiel en 1993, un premier arrêté de péril imminent est pris en 1994, suivi d’une mise en demeure de faire des
travaux de protection. Des dizaines de lettres envoyées par la municipalité de Boulogne n’émeuvent guère le propriétaire, qui ne daigne jamais répondre. Le château, ou ce qu’il en reste, et
le parc sont enfin inscrits, en 1997, à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques.
Un certain nombre de projets se font jour. L’ambassade de Chine, une fondation Dior pour la haute couture, un hôtel de luxe, un centre de séminaires se sont portés successivement acquéreurs.
Rien n’aboutit. Un deuxième incendie, en 2003, est suivi d’un nouvel arrêté de péril imminent qui ne suscite toujours aucune réaction, puis enfin, en juin 2003, d’une procédure dite d’abandon
manifeste qui permettrait à la Ville de récupérer le bien au bout de six mois, c’est-à-dire en janvier 2004. Le cheik Khalid Abdulaziz Al Ibrahim s’est alors manifesté, s’engageant à
restaurer le château ou au moins à faire les travaux de première urgence et de mise en sécurité. Une parole nullement suivie d’effet depuis plus d’un an. Excédés, les riverains se demandent
pourquoi la municipalité montre tant de patience et tarde autant à faire appliquer les textes et à exproprier. Indifférence au patrimoine ? Crainte de devoir gérer le problème ? En attendant,
le château Rothschild, gracieux et malheureux fantôme, prend l’eau de toutes parts, au propre et au figuré.
Texte par LILIANE DELWASSE, journaliste et écrivain.
Et pour voir quelques photos du Chateau Rothschild, c'est ici sur ma page Flickr : link