... Arthur Ernest Edmond, cheveux blonds, sourcils blonds, front haut, yeux gris, nez moyen, bouche
moyenne, menton rond, visage ovale, mesurant 1 m 73, matricule 2508, n'aura pas été épargné par la vie.
Ayant eu l'idée incongrue de naître le 28 avril 1873, il fut tiré au sort avec le numéro 671 dans le canton du XVIIIe Arrondissement à Paris qu'il habitait alors au 12, rue Léon. À cette
époque, le service national durait cinq ans et la Conscription se faisait par tirage au sort. On pouvait se faire remplacer mais il fallait avoir de l'argent et Arthur, arrivé de frais dans la
capitale en provenance d'Onnaing près de Valenciennes, de l'argent, n'en avait point.
Incorporé au 110e Régiment d'Infanterie de Ligne à
compter du 25 mai 1891 comme soldat 2e classe, il venait tout juste d'avoir 18 ans et était probablement doux comme un enfant. Rapidement, il grimpa les échelons : 1e classe le 24 février 1892,
Caporal le 29 aout de la même année, il décide de s'engager. Sergent le 24 mars 1893, Sergent-Fourrier le le 26 avril 1893, Adjudant le 9 mai 1902, Sous-Lieutenant en 1907 puis Lieutenant en
1909 avant de terminer sa carrière avec le grade de Capitaine en 1916.
Le 7 juin 1898 pendant les opérations autour d'Ankalalobé, il est resté à son poste de combat malgré deux blessures dont une grave à la poitrine et a su entraîner et diriger les jeunes
Tirailleurs sous ses ordres dans une opération contres les rebelles d'Arralabé.
Engagé avec l'armée dans des conflits qui avaient à peu près tout de la boucherie, le fils d'Ernest Felix Semaille et de Lucette Lhotellerie s'était pris de plein fouet les guerres coloniales de
cette fin de siècle. Campagne de Madagascar de 1897 à 1899, Corps Expéditionnaire vers la Chine de 1900 à 1902. Puis, enfin, alors qu'il aspirait à une tranquillité méritée, la Grande
Guerre, celle dont tout le monde pensait qu'elle serait la dernière, l'avait rappelé à son bon souvenir pour achever le travail.
8e Régiment d'Infanterie de Marine, 2e Régiment de Tirailleurs Malgaches, 3e Régiment d'Infanterie de Marine, 2e Régiment de Marche d'Extrême-Orient, 16e Régiment d'Infanterie de Marine, 16e
Régiment d'infanterie de Marine Coloniale, 3e, 4e et 5e Régiment d'Infanterie Coloniale, 145e Régiment d'Infanterie de Ligne, 113e Régiment d'Infanterie. 1891-1921. 30 ans de Grand
Muette.
En 1914, il est rappelé au 113e
Régiment d'Infanterie. Lieutenant. Puis Capitaine. Il a 41 ans, deux enfants. Mais c'est la guerre et faut aller dans les tranchées se faire découper, gazer, embrocher, étriper. Pas le choix.
Alors il y va. Il est incorporé le 2 aout. Le 22, sous un feu très violent de l'artillerie ennemie, il tente à plusieurs reprises de rallier les débris du régiment autour du drapeau, exposant sa
vie avec un courage et un sang-froid remarquables, selon une lettre du QG du général Hallouin du 6 octobre 1915. Il est blessé. Des éclats d'obus. Partout. À la nuque, au bras droit, deux dans
l'avant-bras droit, un dans la main. 30 jours de convalescence. Quinze jours de permission. Et on y revient. Et puis les gaz. Emphysème, Rhénite. Evacué pour fatigue générale et pieds gelés en
1915. On y retourne. Blessure par balle en 1916. Quinze jours de perm'. Encore évacué en 1917. Une fois l'Armistice signée, on lui confie un camp de prisonniers, de bons bougres avec qui il
se lie d'amitié. Il appelle son camp le "Jardin d'Acclimatation".
1922. Arthur Semaille est
démobilisé. Il habite 7, Avenue de Rochegude, Nanterre et trouve du travail à la Caisse des Dépôts et Consignations. Comme il est fonctionnaire, il finit tôt. Alors il part se balader,
pêcher, croquer la vie comme les gens car sa grande passion n'est pas la guerre mais le dessin. Il se fait remarquer, publie des dessins d'humour dans des journaux parisiens, signe Haës et y
gagne une certaine notoriété.
Dans son travail, les cons sont
légion. Il fustige la désorganisation chronique, se fout de ses chefs de services, rigole de la nullité de ses collègues. Quand ce n'est pas leur fête, c'est la sienne qu'il dessine. Il
se rêve artiste dans un monde de chiffres, d'amortissements qui l'emmerde prodigieusement.
Dans ce dessin, synthèse d'une vie, il se décrit bébé adorable, écolier modèle, commerçant avisé, défenseur du pays, sous-off distingué, colonisateur humanitaire, pendant un moment
pénible, repos mérité, pendant un autre moment pénible qui n'aura duré que quatre ans (14-18), fonctionnaire dévoué autant qu'actif, caricaturiste relatif et grand pêcheur enfin prêt
à comparaître devant l'Eternel avec un humour certain pour ne pas dire un certain humour, ça y est, c'est dit. De l'humour et un trait de finesse, il n'en manquait pas dans ses
dessins pour les journaux comme pour ses croquis personnels. On l'appelait Haës, il
s'appelait Arthur Semaille. Mon arrière-grand-père.