31 Mai 2022
CSC
Fausti a dit en rentrant que c’était pas la fin du monde. Andrés est d’accord. Ce n’est pas la fin du monde et il faut bien faire avec, passer à autre chose. Au El Indio, il a toujours son espace réservé. Et il en profite bien avec sa copine et ses potes sans monter non plus sur les tables. C’est pas son genre, il veut juste se payer un peu de bon temps. Tranquillement. Plutôt que de partir en vacances à l’étranger comme d’autres, Andrés a préféré rester au pays. C’est chez lui. Les couleurs qu’il défend depuis des années. La deuxième tournée de Margarita arrive, accueillie par un bouquet de sourires ravis. La musique est bonne, les rires francs et la vie reprend son chemin. Andrés boit, rit, caresse, embrasse, mais il n’arrive pas à débrancher ses pensées de l’Italie. C’est sa manière d’avancer. Toujours essayer d’avoir un coup d’avance. Anticiper sur le prochain mouvement. Il se dit que c’est bien de mettre de la distance après tout ça. Et les bandes rouges et noires, le Calcio, l’Europe, ça fait briller les yeux du gamin de l’Atlético Nacional.
Les filles partent danser. Il les regarde sur la piste se déhancher sur le dernier tube à la mode. Sa copine lui envoie des clins d’œil sans équivoque et ses mouvements de bassin sont à l’avenant. Il lui sourit, évidemment. Elle est magnifique, elle feint de l’attirer à lui en mimant les gestes, il rit, décline, elle soupire, virevolte et reprend sa place sur la piste avec ses copines. Le DJ passe à un autre titre, visiblement moins populaire, les filles reviennent, exténuées, dépitées. Le choix est simple : une nouvelle tournée ici ou on va ailleurs. À la majorité des filles plus Andrés, tout le monde décide de bouger. La troupe se faufile à travers les fêtards, s’extirpe du bar, s’étire sur le parking.
- Sale traître !
Andrés feint de ne pas avoir entendu et avance vers sa voiture. Pas d’ennuis.
- Toi, là ! Sale traître, tu fais honte à ton pays et tu oses encore montrer ta face de rat ? Pourri !
Cette fois, Andrés ne peut plus jouer l’indifférence. Il s’approche calmement de l’homme, tentant l’apaisement en écartant ses bras. Il lui parle d’un ton calme, s’approche, rassurant, rassuré. L’homme dégaine son revolver, tire.
- Gol !
Andrés tombe au sol. L’homme tire encore.
- Gol !
Et encore.
- Gol, gol, gol, gol !
Dans les cris, la stupéfaction, les pleurs et les appels à un Dieu aveugle et impuissant, une voiture s’éloigne à pleine allure à travers les rues étroites de Medellin.
Andrés Escobar (pas de la famille de Pablo), footballeur colombien 13.03.1967 - 02.07.1994. Assassiné à son retour de la Coupe du monde 1994 après avoir marqué un but contre son camp (CSC) face aux États-Unis, scellant l'élimination prématurée de la Colombie de la compétition.
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